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seulement étaient en état de nous recevoir. Ce yamen est situé sur un monticule d’où la vue est fort étendue et très-pittoresque[1]. C’était le palais où avaient lieu les examens pour le baccalauréat.

Dès notre arrivée, le P. Protteau vint se mettre à la disposition du commandant de Lagrée. Il ne pouvait nous donner aucune nouvelle d’Europe plus récente que celles que nous possédions déjà ; mais il nous mit au courant de la situation de la province, et nous fit comprendre tout ce que le manque d’interprètes nous avait empêchés de bien saisir jusque-là. Nous apprîmes ainsi que le fameux Kosuto, dont on nous avait si souvent entretenus à Se-mao et à Pou-eul, n’était autre que le P. Fenouil, le provicaire apostolique de la mission du Yun-nan ; il résidait à Kiu-tsing depuis l’explosion de la maison où il fabriquait des poudres pour le vice-roi Lao, dont il était le confident et l’ami. Naturellement son active intervention dans la lutte contre les Mahométans le désignait à leur animadversion, et il attribuait à leur malveillance l’accident qui lui était arrivé et dont il avait failli être victime. Le Song ta-jen lui avait dépêché un courrier pour qu’il vînt nous servir d’interprète officiel dans nos relations avec les autorités chinoises. Nous n’allions donc pas tarder à faire sa connaissance.

C’était le P. Fenouil qui, d’accord avec le vice-roi, nous avait expédié, en même temps que la lettre chinoise qui avait tant causé d’émoi à Xieng Hong, cette lettre en caractères européens qu’on n’avait pas voulu nous montrer et qui nous eût expliqué tout cet imbroglio. Le vice-roi Lao, prévenu par Pékin de notre arrivée prochaine, avait cru devoir nous informer de l’état troublé de la province, des dangers que l’on courait en traversant des routes infestées par les brigands, et il nous engageait à différer notre entrée en Chine jusqu’au moment où, averti de notre présence à la frontière, il pourrait nous envoyer une escorte suffisante. Le P. Fenouil nous confirmait en français tous ces renseignements, en même temps que le bon vouloir des autorités chinoises et le vif désir qu’elles avaient de nous voir arriver sains et saufs à Yun-nan. La lettre chinoise, mal traduite par des gens inexpérimentés dans l’art de déchiffrer des hiéroglyphes, avait été prise pour une défense d’entrer en Chine ; de là les difficultés que nous avions rencontrées et qu’avait seule pu lever la lecture de nos passe-ports. L’ignorance, et non les ruses birmanes, ou la mauvaise foi chinoise, avait causé les difficultés que nous avions eu à vaincre à Muong Long et à Xieng Hong.

Le lendemain de la Noël, M. de Lagrée alla faire une visite officielle au Song ta-jen. Celui-ci, beau vieillard à barbe blanche et à figure distinguée, le reçut avec une affabilité et une courtoisie qui nous donnèrent une haute idée de la politesse chinoise. Il vint à la rencontre du chef de la Mission française jusqu’à la deuxième porte de son yamen, entouré de tous ses mandarins en tenue. Il rendit dès le lendemain la visite de M. de Lagrée.

En sortant de chez le Song ta-jen, nous nous rendîmes chez le Ma ta-jen. Il habite en dehors de la ville une villa plaisamment située sur les bords du lac. C’est un homme de trente-six ans, d’assez puissantes mais d’assez grossières allures. On comprend en le

  1. Voy. Atlas, 2e part., pl. XXXVIII.