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ROYAUME DE NAN-TCHAO OU DU YUN-NAN.

On voit, par l’énumération des populations qui prirent part à la révolte de Chen-tsieï, que les parties même les plus septentrionales du Yun-nan, Ou-ting, Tchao-tong et Tong-tchouen, étaient habitées à ce moment par des races particulières, incomplètement assimilées par la civilisation chinoise. Ces races ont gardé jusqu’à nos jours leur physionomie, et on les désigne encore par des noms spéciaux. On dit les Tong-tchouen jen, les Che-pin jen, pour distinguer les habitants de ces villes des Chinois proprement dits. Ces populations mixtes conservent, malgré leur mélange avec les Chinois, un sentiment d’indépendance qui contre-balance partout dans le Yun-nan l’influence des fonctionnaires du gouvernement central. Ceux-ci sont obligés à de grands ménagements, et Pékin a dû concéder à certains districts de la province une certaine autonomie et les franchises municipales les plus grandes. Quelques villes, telles qu’Ho-mi tcheou, se gouvernent elles-mêmes par un conseil dont les membres sont nommés par les habitants[1].

La situation géographique des royaumes de Kin-tchi, de Pa-pe si fou, du grand et du petit Tche-li, que nous voyons résister aux armées tartares et arrêter les Yuen dans leurs conquêtes au sud-ouest de la Chine, est assez facile à déterminer. Les Kin-tchi occupaient probablement le territoire de la ville chinoise de Yun-tchang, dont le premier établissement remonte à l’époque des Ming. Au point de vue ethnique, il faut rattacher sans doute les populations Kin-tchi au rameau Ka-khyen et Sing-pho. Peut-être faut-il voir dans ce royaume un débris de l’empire de Ma-mo, dont j’ai signalé l’existence au premier siècle de notre ère.

Le royaume de Pa-pe si fou et ceux du grand et du petit Tche-li sont des principautés thai, dont Muong Yong, Xieng Hong et Muong La (Se-mao) étaient probablement les capitales. Dans un manuscrit du P. Amyot, déposé à la Bibliothèque nationale[2], il est donné un vocabulaire des langues pa-pe et pe-y ou pa-y, qui ne peut laisser aucun doute sur l’origine laotienne de ces deux peuples. On y trouve une traduction d’un grand nombre de noms géographiques chinois, qui permet de précieuses identifications. C’est ainsi que l’on constate que le royaume de Pa-pe était appelé par les Pe-y, Muong Yong ; les Kin-tchi recevaient d’eux le nom d’Ouan-tchang. Ta-ly était désigné sous le nom de Muong Koue ; Nan-tien, sous celui de Muong Ly ; Yun-nan, sous celui de Muong Tche ; Pékin, sous celui de Tai Tou, et Nankin, sous celui de Nan Tai. Quant à la contrée appelée par les Chinois Lao-tchoua, les Pe-y et les Pa-pe la nomment Muong Tcha ou Muong Tchoa. On retrouve ici l’ancien nom du royaume de Lan Sang ou de Vien Chan. Le pays de Tche-li est Muong Le ou Muong Lo. Il est facile de reconnaître dans cette transcription légèrement altérée, comme quelques-unes des précédentes, par la prononciation chinoise, Muong La, nom laotien de la ville de Se-mao. Un document chinois, que j’ai copié lors de notre passage à Pou-eul,

  1. Cette circonstance est une preuve de plus à l’appui de l’identification faite par M. Yule de cette ville et du pays d’Anin de Marco Polo. (Travels of Marco Polo, t. II, p. 83.) Nous n’avons point été à Ho-mi tcheou et nous n’avons pu constater si le type des habitants se rapprochait de celui des populations Ho-nhi des environs de Ta-lan ; mais il est très-possible que le nom de la ville ne soit que la transcription chinoise du nom de la tribu qui habitait la province d’A-nin.
  2. Il est intitulé Pe-y koan tsuen chou et porte le numéro 986. C’est de là que Klaproth a tiré les renseignements qu’il donne dans son Asia polyglotta, p. 368, 395.