Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/522

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
481
ROYAUME DE NAN-TCHAO OU DU YUN-NAN.

tant de ce que la garde du Tong-king, qui venait d’être conquis par les Chinois, absorbait la plus grande partie des troupes chargées de garder le sud de l’empire, prirent les armes et Kien-ting se proclama empereur. Ce soulèvement ne fut apaisé qu’en 1415, après l’exécution des deux instigateurs de la révolte.

En 1438, une nouvelle guerre, à laquelle les Kin-tchi prirent part, désola l’ouest du Yun-nan. Un indigène, que les historiens chinois désignent sous le nom de Sse-gin, prit le titre de Fo-fa, qui était, d’après le Toung kien kang mou, celui des rois du Yun-nan, et obtint plusieurs succès sur les armées chinoises. Après des fortunes diverses, il fut obligé, en 1448, de se réfugier auprès du roi de Birmanie ; il se suicida en apprenant que son hôte voulait le livrer à ses ennemis.

À partir de ce moment, l’apaisement paraît se faire sur les frontières sud-ouest de l’empire et le Yun-nan se résigner à la domination chinoise. Au moment des guerres qui amenèrent la chute de la dynastie Ming, quelques troubles passagers se produisirent encore (1623). En 1658, Khang-hi donna le gouvernement de cette province au célèbre Ou-san-kouei qui avait favorisé la venue de la dynastie tartare. Ce fut le dernier gouverneur qui eut le titre de roi et qui jouit d’une complète indépendance. En 1659, il réussit à atteindre et à tuer le dernier prince Ming qui était revenu de Birmanie dans l’espoir de soulever le Yun-nan[1].

Ou-san-kouei était un habile administrateur ; il sut conquérir l’affection des populations et ne tarda pas à exciter les soupçons de la cour. Khang-hi lui envoya, en 1672, l’ordre de venir à Pékin. Blessé d’une semblable défiance, Ou-san-kouei reprit l’habit chinois et proscrivit le calendrier de la dynastie Tat-sing. Le Kouy-tcheou, le Se-tchouen et le Hou-kouang se déclarèrent en sa faveur. Khang-hi soumit ces provinces, mais n’osa troubler Ou-san-kouei dans la tranquille possession du Yun-nan. Ce ne fut qu’à sa mort, arrivée en 1679, qu’une armée tartare marcha sur Yun-nan, défit dans trois combats successifs les troupes indigènes et s’empara de la ville. Le fils de Ou-san-kouei se pendit de désespoir et la soumission de la province fut définitive.

Ou-san-kouei a laissé de profonds souvenirs dans l’esprit des populations. On voit encore dans le nord-est de la ville, sur le sommet d’une petite hauteur, une pagode construite pendant son règne et que l’on désigne sous le nom de Pagode du roi Ou. Elle est entièrement construite en cuivre, depuis les colonnes des parvis jusqu’aux tuiles du toit. Malgré la valeur intrinsèque de ces matériaux, malgré les guerres civiles et les pénuries effroyables du trésor, elle a été, jusqu’à présent, respectée par tous les partis. Le sentiment religieux, à peu près inconnu des Chinois, n’entre pour rien dans cette préservation presque miraculeuse de la pagode du roi Ou : il faut en rapporter tout l’honneur à ce respect profond des traditions et des ancêtres, qui consacre immortelle, en Chine, la mémoire des hommes de bien.

La dernière lutte que les Chinois eurent à soutenir pour contenir les populations indisciplinées qui, sous le nom de Man-tse et de Miao-tse, habitent certaines montagnes du

  1. De Mailla, op. cit., t. X, p. 198, 4.31 ; t. XI, p. 65.