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DE YUN-NAN À TA-LY.

coulées calcaires subitement refroidies recouvrent leurs pentes. L’effritement continu de ces roches sous l’action alternative du soleil et de la pluie oblige à entourer chaque champ, chaque maison, chaque sentier d’un mur préservateur : nulle part l’homme n’a eu à lutter contre une nature plus ingrate.

Au bout de deux heures de descente en zigzag, nous nous trouvâmes au fond d’une gorge étroite : les eaux d’un torrent bouillonnaient au-dessous de nous et la route se continuait en corniche le long de la muraille verticale qui soutenait les flancs ravinés du plateau. Cette route avait coûté des efforts prodigieux : en maints endroits, le pic avait été insuffisant pour entamer la roche et il avait fallu recourir à la mine. L’aptitude colonisatrice et commerciale du peuple chinois se révèle dans ces gigantesques travaux. Sans aucun secours gouvernemental, quelques communes, quelques compagnies de marchands, réussissent à triompher des plus grands obstacles, à établir des voies de communication et à attirer à eux les produits des régions les plus inaccessibles.

Le 31 janvier, à l’un des coudes de cette route en corniche, nous aperçûmes pour la première fois le Kin-cha kiang, roulant à 600 mètres au-dessous de nous, ses eaux claires et profondes. Le torrent dont nous avons descendu les bords se jetait à nos pieds dans une rivière, qui n’était autre que le Li-tang ho, dont nous avions un instant suivi la vallée en allant à Tong-tchouen. Le grand fleuve venait du sud-ouest, puis se redressait vers le nord en décrivant une longue courbe. Au sommet de cette courbe, le Li-tang ho mélangeait ses eaux boueuses et rougeâtres à l’onde bleue du Kin-cha kiang, qu’elles salissaient pendant plus d’un mille. Nous couchâmes le soir même à Mong-kou, gros bourg situé sur un petit plateau, à 200 mètres au-dessus du fleuve ; nous y retrouvions les bananiers, les cannes à sucre, une végétation et une température tropicales.

À Mong-kou, commencèrent les ennuis que m’avait prédits le P. Fenouil. Les autorités locales restèrent invisibles et je ne pus me procurer les porteurs dont j’avais besoin. Il fallut engager à un prix très-élevé jusqu’à Houey-li tcheou, ville importante située à cinq jours de marche sur l’autre rive du fleuve, les porteurs venus avec nous de Tong-tchouen.

Le 1er  février, nous traversâmes le Kin-cha kiang. Un bac pouvant porter un chargement de 15 à 20 tonneaux fait à Mong-kou un va-et-vient continuel. Le fleuve a en ce point plus de 200 mètres de large. La vitesse du courant est environ de deux nœuds à l’heure et, au milieu, je ne trouvai pas fond à 20 mètres. Le marnage est de 10 mètres. Malgré ces belles apparences de navigabilité, des rapides arrêtent la circulation des barques à peu de distance en amont et en aval de Mong-kou.

En mettant le pied sur la rive gauche du fleuve, nous entrions dans la grande province du Se-tchouen. Au bout de quatre heures et demie d’une marche pénible dans les sentiers pierreux tracés en zigzag sur les flancs de la montagne, nous nous étions à peine éloignés horizontalement d’un jet de pierre de la rive du fleuve ; mais nous avions gravi une hauteur de plus de 1,200 mètres et nous n’apercevions plus le Kin-cha kiang que comme un étroit ruban bleu. De longues files de piétons et de bêtes de somme s’échelonnaient du bord du fleuve à la crête du plateau. Le froid se faisait sentir de nouveau.

Le lendemain, nous continuâmes notre voyage au travers d’une région profondément