buissons de rhododendrons en fleur, des touffes de camélias se penchaient sur le bord des torrents, notre voyage n’était qu’une succession de montées et de descentes presque à pic ; mais nos fatigues trouvaient toujours le soir un asile confortable, et notre appétit un repas substantiel. Notre nouveau majordome faisait merveilles et transformait en autant de domestiques les habitants craintifs des pauvres hameaux où nous logions. Dès notre arrivée à une étape, tous les bancs, les tables et les coussins du village étaient mis en réquisition pour faire nos lits : Tching-eul-yé se précipitait vers la cuisine qui lui paraissait la plus confortable et faisait immédiatement préparer du thé qu’il offrait lui-même « aux grands hommes ». Je ne me le représente qu’une tasse de thé à la main.
Le 19 février nous rejoignîmes la route qui de Hong-pou-so va directement à Ta-ly et que notre visite à Ma-chang nous avait fait abandonner. La circulation était active : après un isolement de quelques jours, nous nous retrouvions subitement en nombreuse compagnie. Nous cheminâmes sur les bords du Pe-ma ho, rivière assez considérable qui vient de Yao-tcheou ; c’est là que nous vîmes flotter pour la première fois le pavillon mahométan. Un poste de douaniers établi sur la rive gauche de la rivière faisait acquitter les droits aux convois de marchandises qui se dirigeaient vers Ta-ly : des caisses de faïences, de papier et de soieries étaient ouvertes à une sorte de bureau en plein vent construit en feuillage ; des parapluies, du tabac, des objets de vannerie, venant de Hong-pou-so, complétaient cet apport commercial. Des caravanes de chevaux chargés de sel se dirigeaient en sens opposé et venaient des salines de Pe-yen-tsin, les plus considérables de la province. Les soldats préposés à la douane nous regardèrent passer avec curiosité, mais ils ne nous adressèrent aucune question. Le soir même, nous arrivâmes au village de Nga-da-ti, où un officier mahométan affublé d’une double veste couverte de passementeries se présenta à nous au bruit de nombreux pétards, escorté de quelques porteurs de bannières. Il me demanda nos passe-ports. Je lui demandai à mon tour par l’intermédiaire de Tching-eul-yé, s’il avait une autorité suffisante pour me garantir la libre circulation jusqu’à Ta-ly, dans le cas où leur contenu lui paraîtrait satisfaisant. Il m’apprit qu’il y avait à Pe-you-ti, notre prochaine étape, et à la ville de Pin-tchouen, où nous devions arriver dans quatre jours, des chefs plus importants que lui, à la décision desquels je devais me soumettre. « C’est à eux alors, lui répondis-je, que je montrerai les lettres dont je suis porteur. » Il insista avec force pour les voir. Je me déclarai trop grand mandarin et lui trop petit officier pour consentir à cette marque de déférence. Il menaça de s’opposer à mon départ. Je me mis à éclater de rire et je m’amusai à lui montrer nos armes, nos revolvers surtout. Sa stupéfaction fut grande, et il me dit qu’à Ta-ly même on ne possédait rien de pareil. Après une longue séance prolongée fort avant dans la nuit, et pendant laquelle dormaient tous mes compagnons de voyage, mon interlocuteur se retira indécis, mécontent de n’avoir pu me faire céder, mais un peu intimidé. Il revint avec quelques soldats le lendemain matin au moment où nous faisions nos préparatifs de départ et il renouvela sa demande. Il me dit que le chef de Pe-you-ti recevrait de lui l’avis de m’arrêter, si je ne m’exécutais pas ; Tching-eul-yé se joignit à ses prières. Je n’y répondis qu’en donnant