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DE YUN-NAN À TA-LY.

de Ta-ly. Ces deux passages, bien défendus, seraient imprenables et ne laisseraient d’autre route que celle du lac pour arriver à la ville.

Une grande chaussée dallée traverse directement la plaine de Hiang kouan à Ta-ly. Le mandarin de Hiang kouan nous avait donné une escorte de dix soldats, commandée par un jeune officier d’une figure douce et agréable, avec qui mes premières relations furent excellentes. Cette escorte nous devança, en raison de la marche trop lente de nos porteurs de bagages. Pendant la route, des bruits inquiétants me parvinrent de nouveau. Tous les chrétiens du père s’esquivèrent un à un. Nos porteurs eux-mêmes ne semblaient pas fort rassurés. Je dus recommander la plus grande surveillance à leur égard.

À trois heures et demie du soir, nous arrivâmes à la porte nord de la ville. Nous y retrouvâmes notre escorte mahométane et nous fîmes immédiatement notre entrée avec elle. En peu d’instants une foule immense s’amassa à notre suite dans la grande rue qui traverse Ta-ly du nord au sud. Au centre de la ville, et devant la demeure du sultan, construction crénelée d’un aspect sombre et sévère, nous dûmes nous arrêter quelque temps pour parlementer avec deux mandarins envoyés à notre rencontre. Pendant cette halte, nous fûmes entourés et pressés par la foule, et un soldat arracha violemment la coiffure de l’un de nous, sans doute pour que le sultan, qui nous regardait du haut du balcon de son palais, pût mieux voir sa figure. Cette insolence fut punie aussitôt d’un soufflet qui ensanglanta le visage de l’agresseur, occasionna un tumulte indescriptible et faillit amener une bataille. L’intervention des deux mandarins, l’attitude résolue de nos Annamites qui s’étaient groupés autour de nous et avaient dégainé leurs sabres-baïonnettes, arrêtèrent les démonstrations hostiles de la foule, et nous parvînmes sans autre accident au yamen qu’on nous assignait pour logement à l’extrémité sud de la ville, et en dehors de l’enceinte.

Aussitôt après notre installation, un mandarin plus élevé en grade que tous ceux que nous avions vus jusque-là, se présenta à nous comme l’envoyé officiel du sultan et me demanda de sa part qui nous étions, d’où nous venions et quel était le but de notre visite.

Je répondis par l’intermédiaire du père Leguilcher, que nous étions envoyés par le gouvernement français pour explorer le pays qu’arrose le Lan-tsang kiang ; qu’arrivés dans le Yun-nan depuis quelques mois, nous avions appris qu’un nouveau royaume se constituait à Ta-ly et que nous avions désiré venir en saluer le chef, afin de préparer, s’il y avait lieu, des relations de commerce et d’amitié entre la France et lui. Je donnai quelques explications sur le but scientifique et le caractère absolument pacifique de nos travaux. Je m’excusai, enfin, de n’avoir que des présents de peu de valeur à offrir au sultan et de ne pouvoir me présenter à lui avec les officiers de la Mission en costume convenable, la longueur et les difficultés de notre voyage nous ayant forcés de nous démunir de presque tous nos bagages. Il me fut répondu très-gracieusement de n’avoir rien à craindre à ce sujet, et que tels que nous étions, nous serions les bienvenus. Pour éviter toute surprise et tout malentendu, je demandai alors à régler le cérémonial de la visite. Il est d’usage, me répondit-on, de faire trois génuflexions devant le sultan. Sur mon objection que les Français ignoraient ce mode de saluer, et que, même devant leur souve-