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Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/577

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arêtes de roches qui viennent traverser le lit de la rivière. Au village de Kieou-long-tan, nous choisîmes la barque qui devait nous conduire enfin jusqu’à Siu-tcheou fou. Elle fut prête à cinq heures du soir. Une heure après, nous arrivions à Houang-kiang, petite ville où nous passâmes la nuit, et où la curiosité de la foule et l’insolence des gamins nous obligèrent à avoir recours au mandarin de la localité.

Le lendemain de bonne heure, nous continuâmes notre navigation sur le Houang kiang près de son confluent avec le fleuve Bleu. Des têtes de roches font bouillonner ses eaux et accélèrent le courant ; nos bateliers durent faire de vigoureux efforts pour franchir sans encombre ce passage dangereux où le moindre faux coup de barre peut perdre le navire. Ce furent les derniers : nous entrâmes immédiatement après dans les eaux plus calmes du Kin-cha kiang. Vis-à-vis de l’embouchure du Houang kiang, s’élève sur la rive gauche un fort village Ngan-pien, construit sur l’emplacement de Ma-hou fou, ancien chef-lieu de département qui n’existe plus aujourd’hui.

Au bout de trois heures et demie de navigation sur le fleuve Bleu, nous arrivâmes à Siu-tcheou fou. Cette ville, la plus populeuse de toutes celles que nous avions rencontrées et qui peut contenir environ cent cinquante mille habitants, est bâtie au confluent du Ming kiang, rivière qui vient de Tchen-tou, capitale du Se-tchouen. Au point de vue commercial, elle est par conséquent en relations faciles avec le centre de cette riche province, pendant que, du côté opposé, le Houang kiang et le Yun-nan ho lui apportent les productions du Yun-nan. Nous vîmes à Siu-tcheou fou, dans toute son activité, ce tourbillonnement particulier aux foules chinoises, que nous avions retrouvé ailleurs, alangui par les désastres de la guerre. Ce n’est pas que le commerce de cette ville ait été sans souffrir : l’interruption des exploitations métallurgiques dans le Yun-nan lui a enlevé un de ses principaux aliments ; le cuivre, qui, avant la rébellion mahométane, se vendait à Siu-tcheou fou 8 à 9 taels les cent livres chinoises, en valait 18 au moment de notre passage. L’opium du Yun-nan, qui est à peu près le seul que l’on consomme dans cette partie du Se-tchouen, atteignait le prix de 4 taels le kilogramme. Le renchérissement du riz, auquel a beaucoup contribué la culture du pavot, était également très-sensible.

Une cause particulière contribuait, lors de notre arrivée à Siu-tcheou fou, à donner beaucoup d’animation à la ville. Un grand nombre de jeunes gens étaient accourus de toutes les parties de la province pour se soumettre aux examens du baccalauréat militaire. Ces examens consistent principalement en exercices du corps : des courses à cheval, des tirs à l’arc avaient lieu dans un terrain spécial situé en dehors des remparts de la ville, et une foule nombreuse venait assister à ces tournois antiques[1] dont le programme est resté ce qu’il était il y a douze siècles. La science militaire officielle semble n’avoir pas fait un pas en Chine depuis cette époque.

Nous ne trouvâmes pas auprès des autorités de Siu-tcheou fou la cordialité et l’empressement que nous avions rencontrés dans le Yun-nan ; la population nous témoigna une curiosité plus importune et moins sympathique ; ces dispositions nouvelles devaient

  1. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XLVII.