Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/114

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des temps jadis n’avait osé le faire. La bête l’eût dévoré !

Jean-Claude, par ce soir d’automne, revenait du village voisin où il avait livré à un paysan, cultivateur comme lui, une génisse qu’il lui avait vendue. Ses écus de cinq livres, entassés dans un petit sac à plomb, se froissaient doucement sous la doublure de sa veste et caressaient son oreille de leur bruissement argentin.

Il sortit du bois du Chênois, longeant les prés humides d’Epenouse, où serpentaient des ruisselets grossis par les pluies froides des jours précédents. Les feuilles tombaient des arbres avec des crépitements grêles ; dans l’azur lavé, les étoiles scintillaient et le croissant gonflé d’un premier quartier de lune s’avivait à l’occident. Il allait arriver à la source de la Moraie et songeait en lui-même :

— Oui, ils l’ont vue jadis et elle existe toujours, bien sûr ; mais elle se cache, car elle sait que les hommes ont maintenant des fusils, qu’ils ne craignent plus ni dieux ni diables et que sa force et son agilité n’auraient raison de leur adresse et de leur avarice !

Ah ! lui ravir l’escarboucle !

Voilà pourtant les lieux qu’elle hantait jadis. Elle a rôdé sous ces saules, elle s’est mirée à ce ruisseau et elle y revient sans doute encore de temps à autre, par les nuits sombres et les bises