Page:Louis Pergaud - Les Rustiques nouvelles villageoises, 1921.djvu/150

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Il rejeta donc un à un bien des projets qui lui parurent impossibles à réaliser et se résolut, en fin de compte, quand les fruits seraient mûrs, à profiter d’un jour où son ennemi serait en tournée quelque part, dans le finage, pour mettre à sac son potager et ses arbres, opération qui lui parut à la fois juste et profitable.

C’était sage en effet, mais l’on n’était qu’en juin et, sauf pour les poires de moisson qui mûrissent en août, il fallait encore attendre longtemps avant de savourer concurremment les pommes du verger et la vengeance désirée. Le Tors s’y résigna cependant, certain que son jour viendrait.

Un après-midi que ses bêtes ruminaient, couchées à l’ombre, et qu’il charmait la solitude de la pâture en édifiant soigneusement avec un peu de marne extraite d’une tourbière voisine et des bouses de vaches à demi-fraîches, des constructions ingénieuses, à la façon des bébés qui, dans les jardins publics, s’amusent à faire des châteaux de sable, il vit à l’horizon se dresser la haute silhouette de son ennemi qui revenait sans doute de visiter son collègue, le garde-forestier de la Joux, un vieux briscard comme lui avec qui il aimait à rappeler le passé et à choquer le verre.

Le Tors résolut de ne pas le voir et de le laisser passer sans rien dire, affectant à son égard l’indifférence dédaigneuse qui lui parut le mieux