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pensables aux tristesses et aux découragements de la vie. Elles nous rendent meilleurs et plus moraux.


III

Tolstoï s’élève contre la critique. On prétend, dit-il, que le rôle de la critique est d’expliquer les œuvres d’art. Qu’est-ce donc qu’elle explique ? L’artiste, s’il est un véritable artiste, a, par son œuvre, transmis aux autres hommes les sentiments qu’il éprouvait. Et, dans ces conditions, que reste-t-il à expliquer ? L’œuvre d’un artiste ne saurait être expliquée. Si l’artiste avait pu expliquer en paroles ce qu’il désirait nous transmettre, il se serait exprimé en paroles. S’il s’est exprimé par la voie de l’art, c’est précisément parce que ses émotions ne pouvaient pas nous être transmises par une autre voie, ce Quand un homme, dit Tolstoï, essaie d’interpréter des œuvres d’art en paroles, cela prouve seulement qu’il est incapable de ressentir l’émotion artistique. » Cela me semble un peu paradoxal. Quelle est la fonction de celui qu’on appelle ordinairement critique ? Je suis de l’avis de Tolstoï qu’elle est nulle, à moins qu’il ne fasse, lui aussi, œuvre d’art et de poésie. Le critique lit, voit, entend et tâche de comprendre. Comprendre, c’est penser pour soi ce qu’un autre, a pensé avant nous et le penser avec la même intensité que lui. Comprendre, c’est sentir courir dans nos veines le frisson créateur de l’artiste. Le critique ne vaut que dans la mesure où il est artiste ; il n’est bon juge qu’à la condition d’être partie, lui aussi.