Page:Loviot - Les pirates chinois, 1860.djvu/21

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Les vivres devenaient de plus en plus rares, tout le monde se plaignait de l’armateur ; on calculait qu’il nous fallait huit ou dix jours avant d’arriver à San Francisco. Si un mauvais temps nous retardait, nous étions exposés à mourir de faim ; toutes les physionomies étaient rembrunies. Je commençais à regretter de n’avoir pas cédé aux craintes de ma sœur. Sur ces entrefaites, on pêcha un requin ; il était d’une telle grosseur qu’après l’avoir harponné et hissé sur le pont, je ne pus m’empêcher de me sauver tout effrayée ; mais aussitôt, nos matelots, armés de leurs couteaux, s’élancèrent sur lui et le dépecèrent ; il passa ainsi morceau par morceau dans les mains de notre abominable cuisinier, qui l’assaisonna à différentes sauces et nous en fit manger pendant trois jours consécutifs ; c’est horrible à avouer, mais cela parut bon presque à tout le monde, tellement, depuis longtemps déjà, on souffrait des privations de toute sorte ; il n’y eut que le capitaine et deux matelots qui refusèrent d’y toucher. Ce refus venait, non de dégoût, mais d’une sorte de superstition ; les matelots n’aiment pas manger le requin,