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LA PHARSALE.


du soldat qui la pose dégouttante sur la table du festin. Fimbria[1] déchire les deux Crassus. Le sang des tribuns souille les rostres profanes. Toi aussi, pontife Scévola, dont l’aïeul abandonnait aux flammes sa main hardie, il t’égorge devant le sanctuaire de la déesse et le loyer toujours brûlant. Ton sang jaillit sur le feu sacré ; mais tes veines épuisées par l’âge n’en rendent pas assez pour l’éteindre.

Après tant de meurtres, pour la septième fois, Marius s’entoure des faisceaux consulaires. C’est alors que finit cet homme qui subit toutes les disgrâces de la fortune, goûta toutes ses faveurs, et combla tout seul la mesure des destinées humaines.

Que de cadavres s’entassent au port de Préneste ! Quels monceaux de morts encombrent la porte Colline, alors que la capitale du monde, que l’empire de la terre semble devoir changer de place, et que le Samnite espère traîner Rome ensanglantée plus loin que les Fourches Caudines !

Sylla vient ajouter à nos misères ses terribles vengeances. Il épuise le peu de sang qui reste à la Ville. Sa main, qui tranche les membres gangrenés, va au-delà du remède et porte le fer trop loin en suivant la trace du mal. Les coupables périssent ; mais quand

Les haines ont pleine licence, et la colère prend son essor, dégagée du frein des lois. On ne sacrifie pas tout au seul tyran ; chacun a ses proscrits. Un seul mot du vainqueur a commandé tous les crimes. L’esclave plonge le fer impie dans les flancs de son maître : les fils dégouttent du sang de leur père et se disputent sa tête : le frère vend le sang du frère, les tombeaux cachent la foule des fugitifs ; les vivants se mêlent aux morts ; les tanières des bêtes fauves ne peuvent contenir ce peuple d’exilés. L’un attache à son cou le lacet fatal et s’étrangle : l’autre se précipite, et son poids le brise sur la terre. C’est ainsi qu’ils dérobent leur trépas à leur cruel vainqueur. Celui-là dresse les planches de son bûcher, s’élance dans les flammes avant que tout son sang ne s’échappe, et s’empare de cette mort qui lui est encore permise. Les têtes des chefs sont portées sur les piques à travers la ville tremblante, et amoncelées dans le Forum. C’est là que tous les meurtres cachés se révèlent. La Thrace ne vit pas tant de cadavres pendre aux étables de son tyran ; la Libye n’en vit pas tant aux portiques d’Antée ; la Grèce désolée ne pleura pas tant des siens massacrés dans le palais du roi de Pise[2]. Quand s’affaissent les chairs corrompues, et que, de ce long et hideux mélange de têtes, les traits se sont effacés, les malheureux patents ramassent et enlèvent, timides ravis-

  1. Soldat de Marius.
  2. Œnomans.