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LA PHARSALE.


presser de ses ondes Téthys fugitive. L’Arabe dompté, et l’Héniochien féroce à la guerre, et les peuples de la Colchide célèbres par leur toison ravie, et la Cappadoce, et la molle Sophène, et la Judée, vouée au culte d’un dieu sans nom, nie connaissent et me craignent. J’ai vaincu les Arméniens, les Tauriens, les Ciliciens barbares. César, je ne t’ai laissé à faire que la guerre civile. »

Le discours du chef n’est pas suivi des acclamations de la foule, et personne ne demande que le clairon hâte l’heure des combats annoncés. Pompée lui-même a tremblé : il rappelle les enseignes et ne veut pas hasarder de si grandes destinées avec une armée déjà vaincue par le nom de César absent. Tel, chassé du troupeau à la première lutte, le taureau cherche les solitudes des forêts : errant exilé dans les plaines désertes, il essaie contre les chênes sa corne menaçante, et ne revient au pâturage que lorsque son front regarni et ses fanons pendants lui rendent son orgueil. Bientôt, chef des troupeaux reconquis, c’est lui qui, malgré le pasteur, entraîne partout dans les bois l’escorte des génisses. Tel Pompée, trop faible encore, abandonne l’Hespérie, et, fugitif à travers les plaines de l’Apulie, s’enferme dans les fortes murailles de Brundusium[1].

Cette ville fut jadis possédée par des exilés de Crète, que les poupes cécropiennes entraînèrent loin de leur patrie, quand leurs voiles mensongères annoncèrent la défaite de Thésée. Là, recourbant en arc ses flancs resserrés, l’Italie prolonge dans les ondes une étroite langue de terre, qui embrasse dans son croissant les flots adriatiques. Et cependant ces eaux captives dans les gorges qui les pressent, ne formeraient pas un port, si une île n’arrêtait dans ses rochers le souffle violent du Corus et ne refoulait les vagues menaçantes. Des deux côtés la nature oppose à la mer des montagnes escarpées de rochers, et repousse les vents loin des carènes que le câble tremblant retient seul à la rive. Au-delà s’ouvre la pleine mer, soit que les voiles tendent vers le port de Corcyre, soit que vers l’Illyrie elles gagnent Épidamne baignée des ondes Ioniennes. C’est le refuge des nochers, lorsque l’Adriatique soulevant toutes ses lames, les monts de l’Épire se cachent dans les nuages et que la Calabroise Sason[2] disparaît sous l’écume des vagues.

Pompée n’espère plus rien de l’Italie qu’il abandonne : d’ailleurs il ne peut transporter la guerre chez l’Ibérien sauvage dont la chaîne immense des Alpes le sépare ; alors s’adressant à l’aîné de sa noble race : — « Va, dit-il, va parcourir le monde entier. Soulevé le Nil et l’Euphrate : arme tous les peuples chez qui j’ai promené ma gloire, toutes les villes où mes trophées ont fait connaître le nom de Rome ; rends à la mer les Ciliciens épars dans les

  1. Brindes, sur les côtes de l’Adriatique.
  2. Île près de la Calabre, entre l’Épire et Brindes.