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LA PHARSALE.

déjà le vent pousse l’incendie qui, d’un vol rapide, court dévorer les retranchements romains. Quoiqu’il ait à lutter contre le chêne vert, le feu n’est pas moins actif et moins rapide. Chaque torche est un foyer d’où la flamme s’élance, et poursuit dans les airs la fumée qui tourbillonne en noires spirales. Elle ronge tout, et le bois et les vastes pierres ; les roches vives s’affaissent réduites en poudre. Enfin le mole s’écroule, et couche sur le sol, il paraît agrandi.

La terre n’offre plus d’espoir aux vaincus, ils veulent tenter la fortune sur les abîmes de l’Océan. L’image tutélaire (5) n’étale pas ses peintures sur de somptueuses carènes. On assemble les chênes bruts et tels qu’il sont tombés des montagnes, aire solide pour combattre sur les mers.

Déjà, sur un vaisseau couronné de tours, Brutus avait descendu le cours du Rhône avec sa flotte et mouillait aux îles Stéchades. De son côté, Marseille ne veut affronter le sort qu’avec toutes ses forces : elle arme ses vieillards et les enrôle avec les adolescents. La flotte en rade n’est pas seule chargée de combattants : les bâtiments hors de service sont réparés et rendus à la mer.

Phébus épanchait ses rayons du matin, qui se brisaient sur la plaine ondoyante : le ciel était pur de nuages ; Borce dormait en repos, et les autans paisibles laissaient la mer immobile s’aplanir pour la bataille. Chaque navire quitte son mouillage, et d’une égale vitesse s’élancent les vaisseaux de César et les galères phocéennes. Les carènes ont tressailli sous l’effort de la rame dont les coups redoublés enlèvent les poupes sur la cime des ondes. Aux deux ailes courbées de la flotte romaine les robustes trirèmes, et les navires qu’ébranlent quatre étages de rameurs, et ceux qui baignent encore plus d’avirons dans les eaux, forment une ceinture qu’enveloppent des bâtiments sans nombre. Cette force imposante présente un front découvert. Au centre du croissant sont les nacelles liburniennes, fières de leurs deux bancs de rameurs. Mais par-dessus tous les autres, le vaisseau de Brutus élève sa poupe prétorienne : ses chiourmes à six rangs creusent un sillon large ; sa vaste carène et ses hautes rames s’étendent au loin sur les ondes.

D’un seul coup d’aviron, un vaisseau peut franchir l’espace qui sépare les deux flottes : aussitôt mille clameurs confuses frappent le vide des airs. Ces cris étouffent le bruit des rames, et l’on n’entend plus la voix des clairons. Les matelots balaient les ondes bleues, retombent sur leurs bancs et courbent leur poitrine sur l’aviron. Dès que les proues heurtent les proues en gémissant, les vaisseaux reculent sur leur poupe : une nuée de traits obscurcit le ciel et couvre en tombant l’espace vide des mers. Déjà les navires s’écartent, les ailes s’étendent, les flottes ennemies s’entr’ouvrent et se confondent. Quand