Sur les bords nourriciers du Rhône impétueux, vois les mules dociles, qu’un cri rapproche ou sépare, changer d’allure suivant le ton de la voix qui les dirige, et prendre la route qu’elle leur désigne. Leur marche n’est point gênée par des rênes ; un joug pesant ne presse pas leur cou ; cependant on les croirait asservies par des liens. Infatigables au travail, elles saisissent d’une oreille attentive de barbares accents. Loin de leur maître, elles reconnaissent ses ordres, et sa voix tient lieu de rênes. Sont-elles dispersées, sa voix les rallie : sont-elles réunies, sa voix les disperse, et peut tour à tour ralentir leur rapidité ou hâter leur lenteur. Qu’il les appelle à gauche, c’est vers la gauche qu’elles dirigent leurs pas ; qu’il change de ton, c’est à droite qu’elles marchent. Le frein n’en fait pas des esclaves, ni la liberté des rebelles : quoique sans entraves, elles savent obéir. Unanimes dans leur obéissance, hérissant le poil de leurs peaux jaunissantes, elles traînent d’un commun effort des chars retentissants. Comment s’étonner que la voix d’Orphée ait adouci les monstres, quand, aux cris d’un Gaulois, des mules se laissent conduire ?
Heureux qui a passé ses jours dans les champs de ses pères ! Vieillard, il habite la demeure qu’il habitait enfant ; et, courbé sur un bâton, aux lieux témoins de ses premiers pas, il compte dans la même chaumière ses longs