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LA PHARSALE.

à des poutres brûlantes. Entre mille genres de trépas, ils ne craignent qu’une mort, celle qui les a menacés la première. Dans le naufrage même, leur valeur n’est point oisive. Ils ramassent les traits tombés dans la mer, et les fournissent à leurs navires : au milieu des ondes, leurs mains défaillantes essaient encore des coups mal assurés. Si le fer leur manque, ils se servent de la mer pour combattre : l’ennemi embrasse avec rage son ennemi, disparaît avec lui dans cet horrible enlacement, et meurt content de le submerger.

Il y avait, dans ce combat, un Phocéen habile à retenir son haleine sous les eaux, à chercher dans la mer ce qu’elle a englouti, à dégager l’ancre, lorsqu’elle a trop profondément mordu l’arène et ne cède plus au câble qui la rappelle. Chaque fois qu’il avait entraîné sous l’abîme un ennemi étouffé, vainqueur et sain et sauf il revenait sur les flots. Mais enfin, croyant remonter librement à leur surface, il heurte une galère et ne reparaît plus.

Quelques-uns jettent leurs bras sur les rames ennemies, et retardent la fuite du vaisseau. Tous ne cherchent qu’à ne point perdre le fruit de leur trépas. Mourants, on les voit suspendre leurs lambeaux sanglants à la poupe de leurs navires pour amortir le choc des éperons.

Tyrrhénus se tenait debout sur le haut de sa proue : de sa fronde baléare Lygdamus va l’atteindre d’une balle. Le plomb mortel lui brise les tempes : ses yeux, dont toutes les fibres sont rompues, tombent de leurs orbites, chassés par des flots de sang. Privé soudain de la lumière, immobile, il s’étonne, et prend ces ténèbres pour celles de la mort. Mais, quand il a senti ses membres encore pleins de vigueur : « Compagnons, dit-il, tournez-moi vers l’ennemi comme une machine à lancer des traits. Allons, Tyrrhénus, épuise dans les hasards de la guerre ce qui te reste de vie : ton corps, plus qu’à moitié cadavre, peut tenir la place du plus fier soldat : tu recevras les coups destinés aux vivants. » Il dit ; et sa main lance aveuglement un trait fatal qui frappe le jeune et noble Argus, à l’endroit où le ventre se courbe vers les entrailles : Argus tombe, et sa chute enfonce encore le fer. Sur l’autre bord de la galère, déjà sans défenseurs, se trouvait le malheureux père d’Argus. Dans sa jeunesse, il ne le cédait, sous les armes, à pas un des Phocéens. Vaincue par l’âge, sa force s’est éteinte : faible vieillard, c’est un exemple et non pas un soldat. Il voit tomber son fils, et, se traînant à travers les bancs des rameurs, il arrive, de chute en chute, à la poupe lointaine, et trouve Argus expirant. Les larmes ne coulent point sur ses joues, il ne frappe pas sa poitrine ; mais ses bras se tendent, et tout son corps se raidit. De vastes ténèbres s’étendent sur ses yeux errants dans la nuit : il regarde son malheureux fils, et ne peut plus le reconnaître. À la vue de son

Qua sæpere mori. Nec cessat naufraga virtus :
Tela legunt dejecta mari, ratibusque ministrant
Incertasque manus ictu languente per undas
Exercent nunc, rara datur si copia ferri,
Utuntur pelago : sævus complectitur hostem
Hostis, et implicitis gaudent subsidere membris,
Mergentesque mori. Pugna fuit unus in illa
Eximius Phoceus animam servare sub undis,
Scrutarique fretum, si quid mersisset arenis,
Et nimis adfixos unci convellere morsus,
Adductum quoties non senserat anchora funem.
Hic ubi compressum penitus deduxerat hostem,
Victor et incolumis summas remeabat ad undas.
Sed se per vacuos credit dum surgere fluctus,
Puppibus occurrit, tandemque sub æquore mansit.
Hi super hostiles jecerunt brachia remos,
Et ratium tenuere fugam. Non perdere letum
Maxima cura fuit, multus sua vulnera puppi
Adfixit moriens, et rostris abstulit ictas.

Stantem sublimi Tyrrhenum culmine proræ
Lygdamus excussa Balearis tortor habenæ
Glande petens, solido fregit cava tempera plumbo.
Sedibus expulsi, postquam cruor omnia rupit
Vincula, procumbunt oculi : stat lumine rapto
Attonitus, mortisque illas putat esse tenebras.
At postquam membris sensit constare vigorem,
« Vos, ait, o socii, sicut tormenta soletis,
Me quoque mittendis rectum componite telis.
Egere quod superest animæ, Tyrrhene, per omnes
Bellorum casus ; ingentem militis usum
Hoc habet ex magna defunctum parte cadaver ;
Viventis feriere loco. » Sic fatus in hostem
Cæca tela manu, sed non tamen irrita, mittit.
Excipit hæc juvenis generosi sanguinis Argus,
Qua jam non medius descendit in ilia venter,
Adjuvitque suo procumbens pondere ferrum.

Stabat diversa victæ jam parte carinæ
Infelix Argi genitor (non ille juventæ
Tempore Phocaicis ulli cessurus in armis :
Victum ævo robur cecidit, fessusque senecta
Exemplum, non miles erat), qui funere viso,
Sæpe cadens longæ senior per transtra carnæ
Pervenit ad puppim, spirantosque invenit artus.
Non lacrymaæ cecidere genis, non pectora tundit,
Distentis toto riguit sed corpore palmis.
Nox subit, atque oculos vastæ obduvere tenebræ,