Page:Luchet, etc. - Fontainebleau, 1855.djvu/149

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pauvre amant, trahi et toujours fidèle, s’était réfugié à Fontainebleau, dans une grande résidence de la rue de Ferrare ; il était riche, millionnaire, et il vivait avec une servante dans une vaste et mystérieuse solitude. Il vit s’effondrer, sans sourciller, les étages de la maison qu’il habitait, et qui avait commencé par ressembler autrefois à une élégante et galante demeure. Il sciait chaque jour les plus beaux ormes de ses vastes jardins. Il jetait de la cendre sur les allées de son parc. Il voulait s’ensevelir tout vivant dans une véritable thébaïde. Quand il sortait de son désert, ce n’était jamais que pour aller au tribunal ; ces jours-là, il disait à sa vieille servante : « Je vais entendre les hommes se lamenter, se disputer et s’insulter pour quelques sous ; je vais renouveler ma petite provision de mépris et de haine contre les peuples civilisés ! »

Quand on est riche, opulent, millionnaire, instruit, spirituel, on ne se condamne à vivre ainsi tout seul, misérablement, que parce que l’on n’a point réussi peut-être à vivre deux ; l’avarice elle-même est quelquefois une généreuse passion rentrée.

Pendant plus de quarante ans, le malheureux original dont je parle ne cessa point un seul jour de lire et de commenter, sans doute pour la plus grande tristesse de son cœur qui savait se tourmenter, le Misanthrope de Molière ; il écrivait souvent des commentaires, avec de l’encre rouge, sur les marges d’une superbe édition de cette comédie, et parfois il montrait