Page:Luchet, etc. - Fontainebleau, 1855.djvu/209

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les enfants les suivaient à distance avec de grands cris ; les chiens aboyaient ; la civilisation s’ameutait par instinct contre la nature sauvage. Quant aux Bohèmes, ils marchaient d’un pas lent et grave, avec un balancement de corps qui n’était pas dépourvu de grâce, sans qu’aucune émotion se trahît jamais sur leurs visages couleur de fumée. Ils allaient déguenillés, les jambes nues, les femmes portant sur le dos une besace d’où sortait quelquefois une tête d’enfant façonnée déjà à. l’impassibilité d’un masque de bronze ; les plus fécondes menaienl un autre enfant par la main. Cette troupe était conduite par un vieillard grand et osseux, qui avait parmi les siens le titre de prince. Sa liste civile se composait des aumônes qu’on lui jetait, et qu’il allait an besoin ramasser dans le ruisseau, sans plus de honte qu’un chien qui happe un os. Il ne faut pas oublier non plus, dans son budget des recettes, les poules qu’il volait autour des fermes. Il était capable d’en remontrer à un renard dans l’art de voler des poules. Aucune n’eut jamais le temps de crier sous sa main ; il ne les volait pas comme un larron vulgaire, il les escamotait. Les fermiers l’accusaient de les manger crues, sans même les plumer. La calomnie s’attaque toujours aux hommes supérieurs.

Je vois encore ce pauvre diable, qui est un des souvenirs vivants de mon enfance. Maigre et musculeux, le grand air avait desséché sa peau, et les rides de la vieillesse en avaient fait une écorce. Courbé par l’âge