Page:Luchet, etc. - Fontainebleau, 1855.djvu/314

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et de ce maudit bois qui ne voulait pas finir, je doublai le pas. Je me faisais à moi-même ce sophisme : « C’est par zèle pour la religion que tu t’es attiré la haine des Dinot ; donc, s’ils te tuent, tu mourras martyr. » Mais je dois avouer que je priai Dieu de nie refuser cette faveur. Le cœur me battit bien fort lorsque j’aperçus la maison des Dinot qui fumait entre les arbres, coquette et blanche, avec sa couverture de neige, comme si on lui eût mis une chemise de mousseline. Cette fumée était de mauvais augure, elle annonçait qu’il y avait quelqu’un dans la maison. Cependant j’espérais encore passer inaperçu, sous l’aide de mon ange gardien.

« 11 n’en fut pas ainsi. Le père Dinot, quoiqu’il fît un froid à tordre les chênes, était en sentinelle devant sa porte, appuyé sur un grand fusil noir. Le père Dinot avait au moins cinq pieds six pouces ; ses cheveux roux, dont quelques-uns à peine commençaient à s’argenter, tombaient, pareils à la crinière d’un lion, en touffes incultes sur ses épaules ; lorsqu’il maniait son fusil, un réseau de nerfs surgissait de ses mains, allant et venant sur sa peau sèche et rugueuse comme la couverture d’un vieux livre. Le temps semblait avoir eu peur de s’attaquer à cet homme. Moi, au contraire, j’étais frêle et faible, et il eût fallu une botte de curés comme je l’étais alors pour faire un chanoine comme je le suis à présent. Alors j’avais la manie de Jésus et de l’abstinence, tandis qu’aujourd’hui…