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El Arab

quelque aspérité du plancher alors que tant de mains me soulevaient ; d’où cet arrachement cruel. (En me peignant le lendemain la mèche resta dans le peigne, une grosse mèche, je puis l’affirmer.)

Quelle affaire, ce lendemain-là ! « C’est moi qui vous ai ramassée ! — Non ! C’est moi ! — Vous me faites bien rire tous les deux ! C’est moi. Personne d’autre ! — Vous êtes tous idiots, par exemple ! Moi je vous dis que c’est moi ! »

Il y avait du duel dans l’air. Le général s’amusait peut-être. Mon mari sûrement. Quelques bons galops puis cette vraie chasse à courre derrière un lièvre dissipèrent enfin les effervescences. Il n’en resta pour moi qu’un thème de méditation : les effets du sud sur les jeunes gens qu’on y laisse trop longtemps, lorsqu’une jeune femme en pleine fleur y apparaît soudain.

Ceci se passe à Kénadsa, ville maraboutique située non plus dans l’Oranie mais au Maroc même, juste de l’autre côté de la frontière. Nous nous y sommes rendus à cheval, dûment entourés d’officiers et de quelques cavaliers indigènes.

Je pensais, tout en chevauchant, au Sahara de notre premier voyage, connu des touristes, presque mondanisé. Celui de l’Oranie, au commencement de ce siècle, reste tragique, le Maroc mitoyen y maintenant une sourde et constante menace qu’on sent flotter entre l’azur et le sol décharné. J’y note ce que je n’avais pas pu si bien remarquer autour de Biskra, c’est-à-dire à quel point, dans le désert, tout est sauvagement roux, rousseur communiquée par mimétisme à chaque vie qui le hante. Roux les chameaux, roux les Bédouins boucanés et vêtus aux couleurs du sable, roux les lièvres, rousses les gazelles, roux les chats eux-mêmes (et avec des yeux roux), aux approches de tel cube de terre cuite (plus roux que tout le reste), représentant une habitation. Et le bleu péremp-