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Colomb-Béchard

près du « Grand Hôtel Delsol » où nous étions descendus. Car, malgré son nom pompeux, ce grand hôtel ne comportait, en fait de chambres, que des huttes. J’en eus une pour moi seule, la meilleure. Son toit de palmes sèches était soutenu par le tronc de l’arbre à l’intérieur. Elle était percée d’une large ouverture qu’on ne pouvait fermer, et n’avait pas de fenêtre. Dans la pénombre s’apercevait un petit lit de fer. Un guéridon aussi de fer représentait la table de toilette. Pour tout plancher, le sable.

Je dormis là-dedans mon long éreintement sans jamais me réveiller, bien que fût inquiétante cette ouverture béante sur la nuit. Mais je savais mon mari dans la hutte mitoyenne.

Le lendemain matin, la chaleur étant déjà grande, je décidai de prendre un tub froid dans la pauvre cuvette qu’on m’avait donnée. Alors que j’étais entièrement dévêtue, je vis avec épouvante entrer, et le plus tranquillement du monde, un jeune Arabe apportant de l’eau chaude. Avant le temps d’un bond pour me cacher, il avait posé son broc sans me voir, et s’en était allé comme il était venu.

Ce fut de cet hôtel étonnant que nous sortîmes le troisième soir pour aller dîner chez le colonel. Je transcris ici ce bref souvenir tel que je l’ai raconté dans mon livre Le Cheval.

« Nous fûmes invités à dîner, mon mari et moi, par la division de Colomb-Béchar. Je n’avais dans mon bagage aucun vêtement féminin, sauf, heureusement, un long manteau à traîne qui me servait au besoin de couverture de voyage. Je le passai par-dessus mes culottes, mes bottes et mes éperons, ôtai mon chapeau, mis à mon oreille une miraculeuse rose de Bengale découverte dans un des jardins de ce Sud desséché. Ainsi féminisée je figurai, parmi ce dîner d’hommes, une sorte de Bradamante ; et je n’oublierai certes pas la saveur d’un tel rôle. »