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Constantinople

Constantinople. La capitale des fées, à la voir de plus près, se révélait fort crasseuse et parfois sordide, du moins à Péra, car Stamboul, au contraire, tranchait par sa propreté — Stamboul, quartier exclusivement turc.

Le cliché des Roumis nous fut répété quantité de fois : « Quand on arrive à Constantinople, il vaudrait mieux ne pas débarquer. »

Leur second cliché : « Ce sont les chiens de rue, ici, qui font le service de la voirie. »

Ces chiens de rue, pendant nos pèlerinages à Sainte-Sophie, au vieux Sérail et partout, impossible de ne pas se rencontrer sans cesse avec leurs bandes mal peignées, sloughis hirsutes, ils se rassemblaient à tel angle des maisons pour y rester souvent immobiles, avec la morne indifférence de chiens qui n’appartiennent à personne. Beaucoup avaient soit les oreilles déchirées, soit l’œil crevé, soit une patte cassée et raccommodée d’elle-même. Pierres jetées ? Rixes pour un os ? Des chiennes aux mamelles pendantes étaient suitées de leur portée entière, six à douze chiots acharnés à les téter même en marchant.

Ce grouillement, à chaque pas, de pauvres bêtes jaunâtres, faisait assez mal à voir. Bien des fois je leur parlais, leur caressais la tête. Aussitôt s’opérait la transfiguration. Le sourire canin, fait surtout d’un mouvement des oreilles, apparaissait. La queue remuait, les yeux devenaient tendres. Certains se mettaient à nous suivre mais s’arrêtaient mystérieusement à un point donné, sans possibilité de les entraîner plus loin.

Ce fut M. Huguenin, directeur des chemins de fer d’Anatolie, rencontré chez nos amis Régis Delbeuf, fondateur d’un grand journal français et sa femme, — ce fut M. Huguenin qui me documenta. Depuis des années qu’il les observait, il avait mené fort loin son étude des chiens de rues.

Si ces chiens s’arrêtaient ainsi brusquement à certains carrefours, c’est qu’ils venaient d’atteindre le bord d’une limite défendue. Car, organisés on véritables tribus, ils ne transgressaient jamais leurs propres lois. Chacun chez