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Mon programme

Rouges en gentlemen, habiller les nègres de ternes confections, — passer au ripolin les miniatures persanes, quoi ! — la Civilisation n’est pas moitié aussi fière de ces résultats que les intéressés eux-mêmes. De sorte que, le paon une fois plumé, tout le monde, pour finir, s’accorde à préférer son croupion sans plumes à l’éventail ocellé qu’il déployait auparavant.

Ataturk, plus vite qu’aucun autre, a libéré l’Islam de son plumage, cette encombrante somptuosité. Un beau matin la Turquie masculine a reçu l’ordre de renoncer à la vénérable et noble vêture de ses pères pour s’habiller à l’européenne et de troquer la coiffure coranique pour la casquette de bicycliste, en même temps que les harems étaient invités à jeter leurs voiles par-dessus les mosquées.

Cinq jours pour opérer la transformation, sinon la potence.

C’est ce qu’on peut appeler la liberté sous peine de mort. Mais il paraît que les Turcs sont beaucoup plus heureux qu’avant.

Soit ! Puisque rien ne peut l’enrayer, ce bienfaisant Progrès, réfugions-nous dans nos pittoresques souvenirs. Telle est mon intention, je le répète. N’est-ce pas de mon âge, après tout ?

Ayant eu comme guide merveilleux le docteur J. C. Mardrus, mon mari, j’ai, pendant sept années avant la précédente guerre, parcouru l’Islam méditerranéen, ses montagnes, ses déserts, ses forêts et ses villes, respiré sa personnalité saisissante sans me douter que c’était à moins cinq, si j’ose dire, de sa disparition de plus en plus rapide. Entre autres richesses de l’esprit j’y ai même gagné d’apprendre l’arabe, clé d’or sans laquelle les portes ne s’ouvrent pas.

Je vais donc raconter exactement, loyalement, tout ce que j’ai vu jadis au cours de mes voyages et séjours en