l’inouï. S’ils avaient pu prévoir les futures casquettes cyclistes ordonnées par Kémal-pacha !
Nous discutions longuement avec eux. Ardente à défendre ce que je ne savais pourtant pas devoir disparaître si vite, je plaidais en faveur des vieux usages de l’Orient, épouvantée de constater les tendances ultra-occidentales de ces deux jeunes gens.
Le Président du Conseil, Ahmed Riza, beau masque pâle aux yeux bleus sous des cheveux argentés, se mêlait à ces polémiques. Sa fille Selma, haute intelligence, poussait loin, on le savait, ses espoirs de rénovation. En mot c’était la très proche République qui, déjà, s’annonçait pour la vieille Turquie si longtemps endormie dans ses traditions et son charme.
À la Chambre des Députés où nous invitaient Djavid et Djaïd, la question se posa tout à coup. La présence d’une femme n’était pas prévue au sein de l’assemblée.
Il me semble voir encore la figure perplexe d’Ahmed Riza. Nous étions dans son cabinet de travail, petite pièce attenante à la salle des délibérations. Il venait, avec un enfantillage de néophyte, de me montrer une liasse de papiers : « Regardez tout ce que j’ai à signer ! »
— C’est bien simple, dit-il, nous allons ouvrir la séance sur la question de savoir si, oui ou non, Madame, vous pouvez assister à la réunion.
Après le oui voté par toutes les voix, je pus pénétrer avec mon mari parmi les députés installés d’avance à leurs bancs.
Que de redingues et de tarbouches ! Mais deux envoyés de Syrie, en manteaux de soie rouge brodée d’or, couronnés de cordes d’or, le long voile de tête à raies enveloppant leurs traits de grande race, éclataient de couleur et de faste au milieu de la pauvreté tout européenne des autres habillements ; deux monarques archaïques, le vivant reproche du passé face aux irréparables reniements de la Turquie moderne.
N’entendant pas le turc, nous dûmes assister sans rien y comprendre à la séance, mais les éclats de voix et les gestes n’en étaient pas moins intéressants à enregistrer.