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Constantinople

Mais j’affirme par serment que je n’arrange rien, que je m’efforce seulement de faire revivre dans toutes ses nuances l’ineffable poésie qui suivit pendant tant de jours notre merveilleuse rencontre aux Eaux-Douces d’Asie. La physionomie, le regard, la voix, les paroles de Salaheddîne Dédé sont restés dans ma mémoire d’une exactitude si vivante que c’est ce matin même qu’il m’a parlé.


— Nous ne devons pas condamner ceux qui pèchent contre l’esprit. Nous n’en avons pas le droit. Car, nous, nous pouvons monter et descendre, mais, eux, ils ne peuvent pas monter.

Cette indulgence qui ne manque ni de hauteur ni d’un certain dédain des êtres inférieurs, elle va devenir la tolérance universelle (que ne connaît aucune religion), avec cette autre image si saisissante dans sa simplicité :

— Dieu, c’est la lumière. Les religions, ce sont les verres de couleurs différentes qui passent devant cette même et unique lumière.

Et voici le panthéisme :

— Cette nuit j’ai rêvé que je voyais Dieu. Je me suis précipité, j’ai saisi sa robe à deux mains. « Maintenant que je vous ai trouvé, je ne vous quitterai plus ! » Je me suis réveillé, et c’était ma propre robe que je tenais dans mes mains.

Je ne répéterai pas tous les enseignements de Salaheddîne. Encore cette dernière parole. Elle me semble ouvrir devant nous des abîmes, ceux que l’humanité devrait franchir avant d’avoir atteint son accomplissement définitif :

— Nous ne savons pas s’il n’y aura pas d’autres Adams que celui de la Genèse…

Suprême théosophie, consolant au delà pour notre pauvre race ivre aujourd’hui d’angoisse et de méchanceté.

Le soufi raconte l’histoire, populaire dans tout l’Islam, de Magnoûm et de Leïlah, roman de brûlante passion dont l’héroïne était laide.