Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
Constantinople

célibat n’est jamais obligatoire en Islam, même pour les couvents.

C’était une jolie maison turque dans laquelle il avait un appartement. Le Bosphore régnait dans les vitres. La petite ville de Roumelli-Hissar se mire tout entière dans l’eau.

Notre ami nous reçut avec toutes les grâces de l’Islam et nous offrit le thé, nous installés sur des coussins à terre, lui se tenant à genoux, assis sur ses talons, miniature persane s’il en fut.

En se levant le matin il avait, tout éveillé, fait un rêve qu’il nous raconta.

— J’ai ouvert cette fenêtre-ci, que vous voyez entourée de ses roses. Je les ai respirées longtemps, et puis j’ai pris mon Coran. Alors j’ai vu que, dans mes mains, mon Coran devenait une rose. J’ai regardé mon corps. J’étais aussi devenu une rose. Alors j’ai dit : « Dieu ! » et je me suis évanoui.

Je n’osai pas demander à voir son harem, sa femme. Il avait l’air trop parfaitement seul chez lui. J’avais peur de le froisser en quelque chose.

Quand le soir tomba, le moment vint de reprendre notre caïque et de partir. Le conte bleu se terminait.

Salaheddîne descendit avec nous jusqu’à l’eau déjà nocturne. Les étoiles commençaient. Échangées les paroles d’adieu, juste comme le caïque allait quitter la rive, le soufi détacha de sa robe la ceinture à large boucle d’agate qu’il portait toujours, et me la donna.

— C’est en souvenir de mon âme…

Il devait pleurer, mais on ne pouvait plus distinguer son visage. Le caïque se mit en mouvement. La rive, au premier coup de rames, ne fut plus qu’une des ombres de la nuit.