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Brousse

masque musulman, pour me rendre compte que ces harems à portée de la main excitaient, chez des Turcs aussi primaires que ceux du bord, une curiosité d’autant plus frémissante que tout la leur interdisait.

À la fin je voulus en avoir le cœur net. Puisque, femme, j’avais le droit de passer de l’autre côté du rideau, pourquoi ne pas aller regarder de près ces beautés défendues ? D’ailleurs, c’était surtout pour voir des harems que j’étais venue en Turquie.

Je l’écarte, le rideau, puis j’entre dans le sanctuaire prohibé. Mes yeux, d’abord, ne distinguent que du vide. Aucune femme sur le banc circulaire de bois où s’asseoir dans ce bateau primitif. En cherchant mieux je distingue enfin une forme humaine recroquevillée dans un coin. Je m’approche. Les harems, c’est cette unique petite malheureuse qui, dévoilée, m’examine peureusement d’un seul œil, car elle est borgne. Et grêlée, en outre.

… En repassant de l’autre côté du rideau, je ramassai, regard rapide, tous les hommes de ce bord. Leurs yeux dévorants m’enviaient d’avoir vu ce qu’ils ne pouvaient voir. En silence j’admirai le pouvoir magique de l’imagination humaine.

Comme l’exigeait sa renommée, la Mosquée Verte eut notre première visite.

Dans l’ombre des cyprès et platanes, au moment de franchir le seuil de la splendeur, cœur d’émeraude de la ville, nous nous vîmes encerclés par un galop de petits garçons. Leur culotte longuement bouffante sur les reins, leur veste courte, tout était d’un bleu d’indigo. Les petits turbans blancs surmontaient des visages délicieux, et chacun de ces enfants portait à la main une rose. Ils bondirent autour de nous en souriant pendant quelques secondes, puis disparurent.

Et nous voilà dans la mosquée.

Quel souvenir ! Le sultan Tchélébi Méhémet Khan, sous un catafalque enturbanné, repose dans son vaste