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El Arab

vrai, mais il est neurasthénique. Alors nous le gardons par pitié. Les cigognes s’entendent très bien avec lui.

Peu après notre arrivée, un nouveau derviche nous invita dans sa maison. Ce n’était pas un mewléwi. Sa confrérie était celle des Hurleurs.

Rien qui rappelle, même de loin, la pure poésie du soufisme. L’exaltation religieuse des Hurleurs est, dans ses développements, assez pénible pour des yeux et des oreilles d’Occident.

Assis en cercle par terre, ils commencent à réciter à l’unisson, et d’une voix normale, l’Allahou Akbar ! (Allah est le plus grand !) de l’Islam. À la formule monotone se joint un balancement collectif, épaule contre épaule, qui les porte alternativement de gauche à droite et de droite à gauche. Ce rythme s’exécute avec douceur d’abord, mais va peu à peu s’exaspérer jusqu’à la frénésie.

C’est pendant que leur mouvement s’accélère ainsi que la formule, cent fois redite et de plus en plus haut, se raccourcit soudain par la suppression du dernier mot, ce qui donne Allahou tout seul. Dès lors, la récitation devient hurlement. Jetés avec violence les uns contre les autres, les derviches ne sont plus qu’une démente houle humaine aux têtes ballotantes, aux bouches écumantes, aux yeux ivres de fanatisme.

C’est le point culminant de la séance. D’Allahou ne va bientôt plus rester que Hou sans rien d’autre, ce qui signifie Lui, c’est-à-dire Dieu.

Ce Hou sorti de tant de poitrines est hallucinant. On n’est plus en présence d’êtres humains mais au milieu de quelque force de la nature dangereusement déchaînée. Un cyclone qui passe.

Il faut bien pourtant que cette tempête finisse par s’apaiser. Ce n’est qu’après un decrescendo qui, graduellement, transforme le Hou final en un souffle de plus en