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Le Caire

l’Egypte, qui n’est pas tout à fait celle de mes autres Islams.

Laissons aux touristes l’Orient qu’ils méritent et peut-être souhaitent et qui, dans leur esprit, finit toujours par tourner au bazar. Au Caire je n’en ai jamais vu pousser plus loin que « le Mouski », quartier commercial aménagé pour eux avec juste la dose d’exotisme qu’il leur faut. Mais nul d’entre eux ne se doutait que pouvait exister le Vieux Caire et tout ce qu’on y découvrait quand on cherchait autre chose que des bracelets de verre, des narghilés ou des écharpes lamées. Il est vrai que, sans la connaissance de la langue arabe et de la chose orientale, on n’y eût vu que des maisons croulantes dans des ruelles sans explication, et du soleil dans du silence.

Et moi, pour introducteur, j’avais le docteur J. C. Mardrus.


Existe-t-il encore, ce vieux Caire ? Reste-t-il encore quelque chose d’intégralement oriental, même, dans cette Égypte que j’ai connue bien avant les réformes contagieuses de Mustapha Kémal, cette Égypte que l’Islam laissait si souvent être pareille à sa millénaire Histoire ?

Cette Histoire, pourtant, sauf quelques érudits spécialisés, élèves de l’égyptologie française, le peuple égyptien l’ignorait profondément. Rien de conscient dans la continuation du grand passé.

Je ne crains pas d’affirmer que, plus d’une fois, j’ai vu de mes yeux défiler les descendants du Bœuf Apis jusque dans les rues de la ville. Ces buffles couronnés, un rang de perles bleues contre le mauvais œil, bimbeloterie couleur de turquoise, éclatait magnifiquement sur leur tête noire, les rendait fantastiques. Les béliers aussi, qui les accompagnaient, s’adornaient des mêmes talismans. Pourquoi pas imaginer que ces bêtes, jadis divinités animales, n’avaient pas cessé depuis les temps pharaoniques et malgré toutes les invasions, de porter quelque parure distinctive sur leur front cornu ? Le berger musulman qui les conduisait ne se souciait pas plus de


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