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El Arab

Sans aucune notion d’égyptologie, un tel trouble s’empare de son esprit depuis ce jour qu’il lui faut absolument, vers quinze ans, se mettre à piocher l’histoire ancienne de sa terre natale.

… Ses recherches avaient été poussées si loin qu’à présent il déchiffrait les hiéroglyphes et, bien plus, rédigeait chaque mois, de sa main, un journal en langue démotique, (langue vulgaire de l’Égypte pharaonique), journal à un seul exemplaire que personne ne lisait, et pour cause, sinon lui-même et sa famille.

Claudios était veuf et père de trois filles qu’il avait élevées en secret dans le culte d’Isis — tout en continuant à tenir son emploi dans l’église chrétienne, car il faut vivre. Elles portaient sans le dire des noms de Pharaonnes, de même que lui s’appelait en réalité Khouniâtone, ou Gloire du Disque. Et c’était pour elles seules qu’il écrivait ce journal à jamais indéchiffrable pour d’autres lecteurs.

Tant de peines et pareil résultat, cela ne le décourageait en rien. Il croyait à lui seul sauver du néant les divinités désaffectées du Nil, et ne demandait pas d’autre récompense que d’avoir été choisi pour cette mission sacrée. Cependant, nous avoir trouvés et pouvoir avec nous parler de son sacerdoce, c’était un bonheur qu’il n’avait jamais espéré, même en songe.

En dépit des dieux ce fut par l’intermédiaire de cet extraordinaire bonhomme que nous fûmes introduits dans le couvent des nonnes coptes, toujours au sein de l’inépuisable Vieux Caire.

Claudios ayant obtenu pour nous un rendez-vous de la Mère Supérieure, faveur insigne, je m’imaginai, toute la matinée qui précéda notre visite, que j’allais voir des religieuses comme celles de chez nous, et cette idée me reposait d’avance de tout ce que j’ingurgitais d’exotique depuis que nous avions quitté la France.