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Le Caire

chef-d’œuvre. Cette princesse-là fit taire l’autre immédiatement, car elle arrivait tout animée par un sujet de conversation bien différent. Elle sortait d’une séance chez des vieilles dont le métier était de soigner la beauté féminine. Le hammam, les massages, les épilations, les sudations, les fards, les onguents, sans compter quelques secrets d’Orient non dévoilés, et la fleur humaine que nous avions sous les yeux s’offrait avec tous les parfums de sa jeunesse veloutée, si précieuse qu’on eût craint même de l’effleurer par peur de commettre on ne savait quel sacrilège.


Maussade séance heureusement si bien terminée, ma rencontre avec Iffet Djélal reste le seul souvenir sans grâce que je garde de cette Égypte que j’aurai tant aimée.

— Quand tu vivrais dix mille ans, une nuit comme celle-là, tu ne la retrouveras jamais !

Sett Bamba, chanteuse attitrée des dames turques, accompagne d’un regard magnifiquement sombre cette parole qui est un reproche.

Il est plus de sept heures du matin. Depuis la veille la fête se prolonge au harem, dans le palais dont tous les hommes ont été chassés, père, mari, frère, fils, serviteurs. Où sont-ils allés se réfugier, chez quels amis ou dans quels hôtels, pour laisser la demeure tout entière à la disposition de l’hôtesse et de ses invitées ? L’usage veut, quand une musulmane de cette classe donne à dîner et de la musique à des amies, que l’élément mâle disparaisse jusqu’au lendemain, impitoyablement.

Le dîner à l’européenne dont je connais déjà les particularités depuis mon tout premier voyage s’est passé beaucoup plus gaiement que ceux de la Tunisie ou de Constantinople. Le damm khafîfe, le « sang léger » de l’Égypte a délié les langues et fait pétiller les yeux au-