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Le Caire

Les yeux splendides quittent le vide pour me regarder douloureusement.

— Mes cors aux pieds, ô dame ! Mes cors aux pieds !


Souvent mes amies venaient me chercher à l’improviste, à sept ou huit dans deux voitures.

— Yallah ! Viens avec nous, ô amie ! Nous allons nous promener au bord du Nil. Ensuite nous irons goûter chez une de nous.

Sitôt entrées dans la maison qui nous recevait pour finir, et dans laquelle nous annonçait le claquement de mains de l’eunuque : « Un ! deux trois !… Visite ! » je regrettais de les voir si vite arracher leurs voiles de tête noirs, leurs voiles de visage blancs. Toute l’Égypte disparue dans un souffle, restaient d’aimables Parisiennes empressées à faire les honneurs du thé. L’apparition de Bamba remettait de l’envoûtement dans l’air. Quand elle refusait de chanter, le temps passait en propos animés.

Si cordiales ! Si proches ! Je brûlais de leur poser plusieurs questions difficiles. J’aurais voulu savoir s’il était vrai que certains harems connaissaient des drames du fait d’eunuques qui, restés capables d’amour pour les femmes, le prouvaient selon les moyens à eux laissés, et que des maris avaient surpris dialoguant de fort près avec leurs épouses.

Je n’osai jamais cela. Mais j’osai, non moins délicate enquête, m’informer à mots aussi couverts que possible si, trop souvent délaissées par leurs hommes, il n’arrivait pas aux hanoums de se consoler quelquefois les unes avec les autres comme le prétendait plus d’une malicieuse chronique.

Elles firent si bien semblant de ne pas comprendre de quoi je parlais qu’une honte me vint d’avoir abordé cette question parfaitement inintelligible pour elles. « Nous aimons la compagnie des gens délicieux… » disaient-elles avec des yeux pleins d’une ignorance accablante.

Je me rappelle pourtant, après le long silence qui sui-