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El Arab

offre un contraste frappant avec la silhouette du mâle égyptien, si sobre, élégante et mince. La race, ici, se révèle montagnarde par sa carrure trapue, même pour ce qui est du féminin.

On a peine à croire que soit une femme cette sorte de mannequin en marche, alourdi de vêtements et qui n’a pas de figure. C’est que le voilage de l’Islam syrien enveloppe toute la face depuis le crâne jusqu’au menton, sombre étoffe à fleurs à travers laquelle celle qui le porte y voit, mais qui ne permet pas à qui la regarde de distinguer ses traits.

Par ailleurs la « haute société » de Beyrouth est occidentalisée en tout, ce qui veut dire triomphe du complet-veston… mais triomphe aussi de la culture européenne (peut-être vaudrait-il mieux dire française).

Qui sait ce que les années, les événements, la politique ont fait de cette terre syrienne, depuis plus de trente ans que j’y suis passée ? Mais, à l’époque où je l’ai connue, je la considérais, disais-je, comme une « colonie sentimentale de la France ».

J’ai rarement, dans mes voyages, rencontré pareille adoration pour notre pays. Bien de ce qui s’y passait n’était indifférent aux Syriens éduqués, surtout dans le domaine des lettres. J’eus l’impression, dans bien des réunions, à Beyrouth, de « passer mon baccalauréat » disais-je encore,… sans être tout à fait certaine d’être reçue. Pas une infime petite revue, pas un obscur petit journal de chez nous qui ne fussent connus de ceux avec qui je conversais. Aucun de nos auteurs, passés ou contemporains, n’avait de secrets pour eux. Ils lisaient tout, ils savaient tout. Et quel enthousiasme !

Le phare de la France, celui qu’alimentait notre littérature, ne jeta jamais plus d’éclats qu’en cette contrée, je puis l’affirmer sans crainte. Et sans doute est-il juste de saluer ici l’influence persévérante des Jésuites français, dont le long enseignement avait fini par produire de tels résultats.

Aujourd’hui… — Aujourd’hui je ne sais plus rien.