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El Arab

À Damas, la tombe du sultan Baîbars el Bondoukdari fit naître en mon esprit quelques idées nouvelles quant à la sépulture des grands hommes.

Ce monarque qui ne savait pas lire occupe une sorte de petite mosquée dont sa pierre fait le centre, entièrement ensevelie sous les livres. Ce sont d’admirables manuscrits arabes amassés là depuis des siècles.

Baïbars ne savait pas lire, ce qui fait cette sépulture un peu paradoxale. Mais supposons, au lieu de notre Panthéon, fosse commune de la gloire, un Victor Hugo, par exemple, seul au milieu d’un monument fait pour lui seul, et recouvert de ses œuvres présentées en de belles éditions ?

De même que les étudiants de Damas sont autorisés à venir lire les manuscrits de la tombe sultanesque, de même nos jeunes gens portés vers les lettres auraient la permission de feuilleter les écrits du grand poète entassés sur son corps. Et qui sait si les fluides du génial mort ne les envahiraient pas mystérieusement, s’ils ne respireraient pas la substance même de son esprit en ce lieu hanté par sa dépouille en même temps que par ses œuvres ?

Les souks de Damas non plus n’approchent pas de ceux de Tunis, qui, je finis par le croire, sont uniques au monde. Mais ils ont de la gaieté, de l’entrain, de belles lumières ; et le meshmesh, qu’on appelle en français abricot, les imprègne de son odeur de rose jaune, omniprésente en ces lieux plaisants, puisque l’abricot est le fruit majuscule de la contrée et l’un des grands commerces de la ville.

On l’y trouve sous toutes les formes, et présenté dans toutes les sortes de boîtes. Mais, ce qui me fascinait c’était cette pâte vendue au mètre, tellement épaisse et