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El Arab

mémoire, ni l’avidité dévorante avec laquelle, tenant à deux mains le grand seau tendu jusqu’à moi par l’une d’elles, je bus, après cette journée de soif, la tête renversée, et laissant l’eau tomber sur mes vêtements et sur mon cheval, comme si mon être tout entier avalait les gorgées en même temps que ma bouche.

Ma dernière impression de Damas, c’est d’avoir, à cheval, passé juste à l’endroit oh saint Paul fût foudroyé par la foi chrétienne subitement descendue en lui.

Éternelle incroyante et si désolée de l’être, avais-je crû que le prodige se renouvellerait pour moi ?

La place fatale était passée, mon cheval galopait, je n’avais rien senti.

De notre retour à Beyrouth, de notre embarquement pour la Palestine ne me reste que le souvenir d’avoir vu notre paquebot, au bout d’une heure en mer, ralentir puis s’arrêter, juste le temps de cueillir ces malheureux qui, couchés à fond de cale depuis des éternités dans une barque sans voile, attendaient d’être ramassés avec leurs ballots, et, livides de mal de mer, jetés en quatrième classe par des bras vigoureux.

Et, bien vite, voilà le paquebot reparti. Ni vu ni connu.

Ce sont de jeunes Syriens qui fuient le service militaire turc. Ils emmènent leur femme avec eux, et leur enfant s’ils en ont un déjà. Après avoir bourlingué sur nos bateaux, ils bourlingueront sur d’autres, au gré de la chance, misérable voyage dont le terminus est aux États-Unis.

Ce départ lamentable, j’en avais vu le retour quelques mois plus tôt sur le bateau qui nous amenait à Bey-