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El Arab

future belle-mère (qui l’a vue) si c’est l’intérêt de sa maison. Le jeune homme, alors, finit par devenir, selon le mot de l’Orient, « amoureux par l’oreille » et, de celle qu’on lui destine, fait l’invisible dame de ses pensées. Tant pis pour lui si le soir des noces est une déception.

Depuis que les Roumis s’en sont mêlés, la fiancée, elle, peut se documenter quelque peu sur son promis, puisqu’il n’est pas défendu (sans que soit vraie la réciproque), de lui montrer sa photographie. Et, même avant l’indiscret objectif, car la ruse féminine est en tous pays ingénieuse, la petite musulmane étant bien cachée derrière son moucharabieh, des yeux dévorants, sans qu’il puisse s’en douter, ont d’avance épluché des pieds à la tête celui qu’adroitement quelque vieille servante complice attira sous la fenêtre qu’il fallait.

Arrive enfin le soir des noces, l’instant follement désiré, si dangereux, où le bouillant mari va se présenter devant l’élue dont il ignore tout, regarder son visage, ce mystère dont il a nourri ses rêves.

Immobile, droite, hiératique sur son siège, elle l’attend, entourée seulement des femmes âgées de sa famille, un long voile multicolore et diamanté cachant une dernière fois sa petite figure d’enfant de onze ou douze ans, âge où les filles se marient. L’époux s’approche, relève ce voile, regarde, dissimule sans sourciller ou son désappointement ou sa joie, fait un pas de plus vers sa femme, et lui marche sur le pied.

Simple étiquette. Il montre ainsi qu’il sera le maître. La mariée répond en lui baisant la main, à quoi, respectueusement, il répond à son tour en l’embrassant sur le front.

Le reste ne regarde plus personne.

Et pourtant si ! La fête des noces continuant au sélamleck (élément masculin de la maison, contraire du harem), l’heure sonne, plus ou moins tard dans la nuit, où l’on présente à l’assemblée des hommes ce qui se nomme « l’honneur de la mariée », soit un linge où se voit la preuve péremptoire de sa virginité depuis un instant perdue.