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El Arab

page, réclames, T. S. F., cinéma, tout ce qu’il faut pour qu’on ne se dérange plus puisqu’il s’agit d’aller voir ce que chacun, sous toutes les latitudes, connaît déjà jusqu’à la nausée.


Que de surprises, jadis, au hasard de nos longues chevauchées ! Du haut de ma monture sellée d’un bât incommode, je continuais à ouvrir des yeux immenses sur tout ce qui se révélait à mon ardente curiosité.

Avais-je jamais imaginé que des humains pouvaient encore loger sous des tentes de branchages, coucher sur des lits de feuilles mortes, vivre dans une pauvreté telle que deux sous qu’on leur donnait représentaient une petite fortune ?

Ces gourbis dont n’eût pas voulu Robinson grouillaient pourtant d’un monde magnifique.

La noble vêture arabe, sur des fonds sahariens, recompose les plus célèbres hauts-reliefs de l’antique ; en forêt, dans le tremblement des ombres de feuilles et celui des taches de lumière, elle prend des aspects de fête royale. Les burnous baignés de clair-obscur mais ourlés de soleil, ses turbans de couleur surgis de la nuit verte des chênes se doublent d’apparitions qui rappellent les trouvailles les plus réussies de Sarah Bernhardt dans ses rôles d’apparat. Étroitement serrées dans le bleu catégorique des Bédouines, les hanches féminines se meuvent fermement parmi l’ampleur des plis du même bleu qui se sculptent naturellement autour du buste et des jambes. Les chevilles à découvert sont cerclées d’anneaux d’argent, les pieds nus ont leurs talons et orteils teints au henné. Sonores de bracelets aussi d’argent sont les bras et les mains également au henné. Et voici cette tête de musée lourdement chargée d’étoffes souvent rouges, d’amulettes, de bandelettes, de verroteries qui, passant et repassant sous le menton, isolent un visage foncé dont les tatouages remplacent le voile, où les yeux noirs et la bouche violette conservent la netteté de leur dessin malgré les complications d’un accompagnement pareil.