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El Arab

La nuit venait de tomber à son heure après ce bref crépuscule africain auquel je mis tant de temps à m’habituer. Dans la tiède obscurité que toute la forêt aromatisait, que la lune commençait à bleuir, une envie nous était venue d’aller faire un tour à pied avant de nous coucher.

Nous étions encore sur la route qui traverse Aïn-Draham. Juste au moment de nous engager sous les chênes, un bond de recul nous arrêta tous deux ensemble.

Devant nous, déferlée jusque sur nos souliers, la mer. Ses vagues assez fortes écumaient en blanc jusqu’au bout de l’horizon. L’hallucination marine ne dura pas plus de quelques minutes. Ce fut le premier mirage de mes voyages.

Je n’avais pas été longue à remarquer que notre domestique Salah, comme tout musulman qui se respecte, exerçait autour de mes faits et gestes une surveillance soupçonneuse. Le harem du maître montrait à ses yeux (ou plutôt à son œil puisqu’il était borgne), un peu trop d’indépendance.

Si je montais seule à cheval pour aller chez nos amis Julia pendant que mon mari travaillait à sa table ; si je continuais un moment à chevaucher mon petit étalon au lieu de rentrer immédiatement, j’étais sûre d’apercevoir Salah, masqué par les branches, en train de m’observer sans savoir que je l’avais vu. Et si quelque service, à ces instants, le retenait près de mon mari (qui me le racontait ensuite en riant) : « Où est ta madame ?… » demandait-il sans oser rien de plus.

C’est ainsi que je le vis surgir à mon côté ce matin où, curieuse, d’assister à la fin d’une aventure surprise derrière mes rideaux, je m’étais de quelques pas éloignée de