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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/93

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El Arab

se continua, presque en silence, par des fleurs ; tant de fleurs, et disposées par la nature en agglomérations si compactes en même temps que si bien séparées les unes des autres, qu’on eût cru des plates-bandes dessinées par un jardinier. Nos chevaux en furent ornés jusqu’au poitrail. Le guide descendait sans cesse de sa mule pour nous en cueillir. Et cela nous rappelait les traînes de feuillage et de clématite sauvage que tiraient derrière elles nos montures de Kroumirie, quand nous avions foncé tête baissée dans quelque verdure dont notre chemin se trouvait barré.

Bientôt j’eus la surprise de voir, dans les arbres de notre parcours, apparaître les premiers singes. Je n’en avais jamais vu qu’en cage ou dans des jardins zoologiques. Ceux-ci, de moyenne taille, libres autant qu’effrontés, nous faisaient comiquement la grimace. Mais les guenons, avec des gestes de femme, se dépêchaient de s’enfuir, emportant leurs petits dans leurs bras.

Plus haut, un sanglier débusqua dans nos jambes. Plus haut encore, juste avant d’arriver à la neige, ce fut un aigle qui prit son vol sous le pied même de mon cheval.

Plus de fleurs. En une seule après-midi nous étions donc passés du printemps à l’hiver.

Non loin de Bougie, notre si charmant port d’attache, ce fut un grand jour que celui qui nous amena, conte de fées, devant la grotte de Mansouria. Toutes les sirènes de la Méditerranée devaient, quand on n’y était pas, se loger dans cette immense coquille, mouillée d’algues, d’où l’on voyait

…s’ouvrir et se fermer de loin
Les mâchoires de la tempête,

dit le poème que j’écrivis le soir de ce jour-là.