Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/16

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obstacle : tu croiras entendre Terpsichore, Melpomène ou Calliope elle-même, dont elle a reçu les leçons et dont elle réunit en elle toutes les séductions et toutes les grâces. Pour le dire en un mot, imagine qu’il sort de sa bouche une voix telle qu’on doit l’attendre et de ses lèvres et de ses dents. Tu l’as vue, cette femme dont je parle ; figure-toi donc l’avoir entendue.

[15]15. Son langage n’est pas moins exquis : c’est l’ionien pur, et il n’est point extraordinaire qu’elle le parle à ravir, et en y répandant toutes les grâces attiques, puisque c’est sa langue maternelle, celle de ses aïeux, et qu’il lui était impossible de ne point avoir l’idiome d’une personne née dans une colonie d’Athènes. Il ne faut pas s’étonner non plus de son goût pour la poésie, étant concitoyenne d’Homère. Voilà, Lycinus, une image de la beauté de sa voix et de son chant, telle que l’a pu esquisser l’inexpérience de mon crayon. Mais voyons le reste. Mon dessein n’est pas de renfermer, comme toi, tant de charmes dans un seul portrait. Cette œuvre, fût-elle exécutée par un peintre habile, ne pourrait suffire à représenter la variété multiple de ces beautés qui semblent rivaliser entre elles : au contraire, chacune des vertus de son âme doit être exprimée séparément dans un tableau formé sur ce bel original.

Lycinus. C’est une fête, c’est un gala splendide que tu nous promets, Polystrate ; tu vas, si je ne me trompe, me payer au centuple. Comble donc la mesure, et sois convaincu que tu ne saurais, quoi que tu fasses, me causer un plus sensible plaisir.

[16]16. Polystrate. De toutes les connaissances élevées, celles qui s’acquièrent par la méditation et par l’étude sont, sans contredit, les plus belles ; formons-en un groupe, aussi agréable par la diversité que par l’élégance des contours, afin de ne pas rester au-dessous de toi dans l’art plastique. Réunissons en elle tous les trésors de l’Hélicon, toutes les sciences que professent Clio, Polymnie, Callipe et les autres Muses, celles auxquelles président Mercure et Apollon. Les beautés que les poëtes ont ornées du charme de leurs vers, les récits des historiens, les leçons des philosophes, serviront à décorer notre tableau, non pas d’une teinte légère et superficielle, mais de manière qu’il soit imbu et pénétré à fond par une couleur indélébile. Et si, malgré nos efforts, cette peinture ne rend qu’imparfaitement l’original, il faut nous le pardonner ; car jamais on n’a cité, même chez les anciens, de modèle aussi accompli. Néanmoins, si tu le veux, nous exposerons notre tableau ; moi, je n’y vois rien à reprendre.