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DIALOGUES DES DIEUX.

toutes trois, et que, s’il était possible, je vous verrais volontiers toutes trois victorieuses. Or, il ne peut manquer d’arriver que celui qui donnera le prix à l’une de vous ne devienne odieux aux deux autres : aussi je suis fort mauvais juge de votre différend, tandis que ce jeune Phrygien, devant qui je vous renvoie, est de race royale, parent de notre Ganymède, simple habitant des montagnes, et digne de jouir d’un si beau spectacle.

[2] Vénus. Pour moi, Jupiter, quand tu nous donnerais Momus même pour arbitre, j’irais avec confiance m’exposer à ses yeux : car que pourrait-il reprendre[1] en moi ? Mais il faut que le juge plaise aussi à ces dames.

Junon. Nous ne craignons rien non plus, Vénus, quand même ton Mars serait choisi pour nous juger ; mais nous acceptons ce Paris, quel qu’il soit.

Jupiter. Est-ce aussi ton avis, ma fille ? Qu’en dis-tu ? Tu détournes la tête, tu rougis ? C’est votre habitude de rougir en pareil cas, vous autres vierges : tu consens, toutefois. Allez donc, mais que les vaincues ne s’emportent pas contre le juge et ne fassent aucun mal à ce jeune berger ; car il n’est pas possible que vous soyez toutes également belles.

[3] Mercure. Allons directement en Phrygie : je vais vous montrer le chemin, suivez-moi promptement ; et du courage ! Je connais Paris ; c’est un gentil garçon, d’un naturel amoureux, et fort propre à trancher ces sortes de questions ; il ne jugera pas à la légère.

Vénus Je suis ravie de cela, et j’espère, quand j’entends dire que nous avons un juge équitable. Mais est-il célibataire, ou a-t-il une femme avec lui ?

Mercure. Il n’est pas tout à fait célibataire, Vénus.

Vénus. Comment cela ?

Mercure. Je crois qu’il y a chez lui une femme du mont Ida[2], assez avenante, mais un peu rustique et montagnarde, à laquelle du reste il ne semble pas fort attaché. Pourquoi me fais-tu ces questions ?

Vénus. C’est sans aucun dessein.

[4] Minerve. Tu manques aux devoirs d’ambassadeur, hé ! l’envoyé, en causant à part avec celle-ci.

Mercure. Pas du tout, Minerve ; je ne fais rien qui puisse vous nuire : elle me demandait si Paris est célibataire.

  1. Il y a ici un jeu de mots intraduisible entre le nom de Μῶηος, Momus, et le verbe μωμήσασθαι, reprendre.
  2. Œnone, que Paris avait enlevée de chez son père Cébrénus.