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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/169

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Mercure

C’est vrai ; il me semble te reconnaître : je t’ai vu souvent dans les palestres.

Damasias

Oui, Mercure : laisse-moi passer, je suis nu.

Mercure

Comment nu, mon cher ami ? Et ces chairs grasses ? Quitte-les vite, tu ferais couler la barque, en y mettant seulement le pied ; laisse aussi là ces couronnes et ces éloges lus par le héraut.

Damasias

Je suis maintenant tout à fait nu, tu le vois, et je ne pèse pas plus que les autres morts.

Mercure

Voilà comme il faut être, très léger ; monte donc. Et toi, Craton, quitte tes trésors, ta mollesse, ton goût pour les voluptés ; n’apporte ici ni tes vêtements funèbres, ni les dignités de tes aïeux ; laisse là ta noblesse, ta gloire, les titres pompeux que t’ont décernés tes concitoyens, les inscriptions gravées sur tes statues ; ne parle pas du grand monument qu’ils ont érigé en ton honneur ; tous ces souvenirs sont trop pesants.

Craton

C’est malgré moi ; mais je le jette par terre : le moyen de faire autrement !

Mercure

Ah ! ah ! Que veux-tu, toi, qui viens tout en armes ? Pourquoi portes-tu ce trophée ?

Le Soldat

J’ai été vainqueur, Mercure, je me suis distingué par mon courage, et mes concitoyens m’ont donné cette récompense.

Mercure

Laisse-moi là ton trophée : la paix règne aux enfers, et les armes y sont inutiles. Mais qu’est cet autre au maintien grave, à la mine arrogante, aux sourcils froncés, à l’air méditatif et à la longue barbe ?

Ménippe

C’est un philosophe, Mercure, ou plutôt un imposteur, un charlatan : mets-le à nu, et tu verras cachées sous son habit bien des choses risibles.

Mercure

Allons, quitte-nous d’abord ce maintien-là, et puis après, tout le reste. Par Jupiter ! qu’il a donc sur lui de forfanterie ! que d’ignorance, d’esprit de chicane, de suffisance, de questions captieuses, de discours épineux, de pensées entortillées, et avec cela de travaux stériles, de frivolités, de balivernes, de sottes minuties ! Mais, par Jupiter, voilà aussi de l’or, du goût pour les jouissances, de l’impudence, de la colère, du luxe, de la mollesse ! Rien de cela ne m’a échappé, malgré le soin avec lequel tu le cachais. Laisse là aussi tes mensonges, ton orgueil, et cette opinion de valoir mieux que les autres ! Si tu montais dans la barque avec tout ce bagage, quel vaisseau de cinquante rameurs pourrait te recevoir ?

Le Philosophe