ne sais quoi de sauvage mêlé à la douceur ; et ce qu’il y a d’admirable, selon moi, c’est que leurs regards d’enfant se tournent vers le lionceau, sans qu’ils abandonnent la mamelle et sans qu’ils cessent de s’attacher à leur mère.
[7] Zeuxis, en exposant ce tableau, crut que son talent allait enlever tous les spectateurs : et, en effet, ils se récrièrent : car que faire autre chose à la vue d’un pareil chef-d’œuvre ? Mais ils ne louaient tous que ce que vous avez aussi applaudi en moi, l’étrangeté de l’invention, l’idée singulière d’un tableau traité comme on n’en avait point encore vu. Aussi, Zeuxis s’apercevant que cette nouveauté seule les occupait, et ne leur faisait considérer que comme un accessoire l’art exquis des détails : « Allons, Micion, dit-il à son élève, roule cette toile et reportons-la chez nous. Ces gens-là ne louent que la boue du métier ; ils ne se soucient pas de l’essence même du beau, de ce qui fait l’art réel ; le talent de l’exécution disparaît à leurs yeux devant la singularité du motif ».
[8] Ainsi parla Zeuxis, avec un peu trop de dépit peut-être. Antiochus, surnommé Soter, eut une aventure à peu près semblable, dans sa bataille contre les Galates. Si vous voulez, je vais aussi vous la raconter. Sachant qu’il avait affaire à des hommes braves, et les voyant supérieurs en nombre, formés en phalange serrée, se développant sur un front de bataille de vingt-quatre hoplites de profondeur, tous couverts de leurs boucliers et de cuirasses d’airain, flanqués de vingt mille hommes de cavalerie sur chaque aile ; au centre, quatre-vingts chars armés de faux tout prêts à s’élancer, et deux fois autant de chars attelés de deux chevaux ; Antiochus, dis-je, voyant tout cela, se crut perdu, et regarda cette armée comme invincible, d’autant que la sienne avait été levée à la hâte, sans grandeur dans ses proportions mesquines ; bataillons peu nombreux, composés presque tous de peltastes et de troupes légères : les vélites formaient la plus grande partie de son armée. Déjà il songeait à un accommodement et à quelque moyen honorable de terminer la guerre, lorsque Théodotas de Rhodes, brave capitaine, tacticien consommé, ne voulut point qu’en sa présence on désespérât du succès.
[9] Antiochus avait seize éléphants : Théodotas ordonne de les cacher, de les dérober le plus possible à la vue des ennemis ; puis, quand on sonnera la trompette, que la mêlée commencera, qu’on en viendra aux mains, que la cavalerie des Galates se mettra à charger, et que leur phalange, en s’ouvrant, livrera passage aux chars poussés en avant, alors quatre des éléphants