Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/431

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un temple à Neptune, et nous commençons à vivre comme nous faisons, cultivant des légumes dans ce jardin, mangeant des poissons et des fruits. Cette forêt très-étendue, ainsi que vous le voyez, contient des vignes, qui produisent un vin fort agréable ; et vous avez aperçu, sans doute, une source dont l’eau est pleine de limpidité et de fraîcheur. Nous nous faisons un lit de feuillage, nous allumons un grand feu, nous allons à la chasse des oiseaux qui volent autour de nous, et nous péchons des poissons vivants, en pénétrant dans les branchies du cétacé ; nous y prenons même des bains, lorsque nous le désirons. Par delà, en effet, se trouve un vaste étang salé, qui peut avoir vingt stades de tour, et dans lequel se trouvent des poissons de toute espèce : nous nous amusons à y nager et à naviguer dessus dans une petite barque que j’ai faite moi-même. Voici la vingt-septième année qui s’écoule depuis notre engloutissement.

35. Notre condition, d’ailleurs, serait assez tolérable, si nous n’avions des voisins, des êtres logés près de nous, qui sont de mœurs difficiles, insupportables, barbares, sauvages. — Eh quoi ! lui dis-je, il y a dans la baleine d’autres êtres que nous ? — Oui, et en grand nombre, répondit-il, tous inhospitaliers et d’un aspect effroyable. À l’extrémité occidentale de la forêt, vers la queue, sont les Tarichanes : ils ont des yeux d’anguille et un visage d’écrevisse : peuple hardi, belliqueux, et ne vivant que de chair crue. De l’autre côté, vers la partie droite, sont les Tritonomendètes : ils ressemblent à des hommes depuis la tête jusqu’à la ceinture ; le reste est d’un bouc. Ils sont moins féroces que les autres. À gauche se trouvent les Carcinochires et les Thynnocéphales, qui ont fait entre eux alliance et amitié. Au centre séjournent les Pagourades et les Psettopodes, race batailleuse et vite à la course. La partie orientale, vers la gueule, est presque entièrement déserte, à cause des inondations de la mer. Quant à la partie que j’occupe, j’en ai la jouissance, moyennant un tribut annuel de cinq cents huîtres que je paye aux Psettopodes.

36. Voilà l’état du pays. Il faut cependant pourvoir à notre subsistance et aux moyens de nous défendre contre tous ces habitants. — Quel en est le nombre ? lui dis-je. — Ils sont plus de