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DE LA DANSE.



XXXIII

DE LA DANSE[1].




LYCINUS ET CRATON.

[1] Lycinus. Maintenant, mon cher Craton, que tu as formulé cette accusation violente, préparée, je crois, depuis longtemps contre la danse, l’art de danser, et contre moi-même qui me plais à un semblable spectacle, et à qui tu fais un crime de ce goût excessif, comme d’un penchant méprisable et indigne d’un homme, écoute combien tu t’écartes de la ligne droite, et comme tu t’abuses en accusant l’un des plus grands biens de la vie. Je te pardonne cependant ; accoutumé, dès le principe, à une vie sévère, et ne considérant comme honnête que ce qui est rigide, ton ignorance t’a fait condamner ce que tu ne connais pas.

[2] Craton. Mais quel homme es-tu donc, mon ami, avec ton érudition et quelque teinture de philosophie, pour oublier tout à coup, Lycinus, ton goût des bonnes choses, ton commerce avec les anciens, afin d’aller entendre, assis, le son agréable des flûtes, et voir un homme efféminé, aux habits moelleux, affadi par des chants lascifs, jouer le rôle des femmes amoureuses que cite l’antiquité, les Phèdres impudiques, les Parthénopes, les

  1. « Ce mot avait chez les Grecs une signification bien plus étendue que celle que nous lui donnons aujourd’hui. La danse n’est presque pour nous que l’art de remuer les pieds en cadence ; c’était pour les anciens la science de tous les mouvements du corps : elle exprimait par le geste toutes les passions de l’âme, énonçait jusqu’aux pensées les plus compliquées, tenait lieu de langage, et parlait à l’esprit en amusant les yeux. On a cherché, depuis quelques années, à renouveler cette danse dans des ballets pantomimes ; mais que nous sommes encore éloignés de produire les effets merveilleux que la danse produisait chez les anciens ! Ce traité est un des plus importants pour le connaissance de cet art et des usages du théâtre antique. » Belin de Ballu. Voyez, pour plus amples détails, Hist. de la critique chez les Grecs, par E. Egger, p. 283, 284.