villes de Lydie, où nous prenons plaisir aux légendes qui s’y racontent, car on n’y trouve plus aucun reste de leur splendeur. Touchant alors à Rhodes, la ville du Soleil[1], nous jugeons convenable d’interrompre quelque temps notre navigation, qui jusque-là avait été continue.
[8] Les rameurs tirent le navire sur le sable et dressent leurs tentes auprès ; moi je m’étais fait préparer un logis de passage en face du temple de Bacchus : je m’y rends tranquillement et en goûtant un plaisir extrême. Rhodes est, en effet, la ville du Soleil, et sa beauté est digne du dieu qui la protège. Je fais le tour des portiques consacrés à Bacchus, et j’admire en détail les peintures dont la vue me charme et me remet en mémoire les fables héroïques. Deux ou trois habitants, accourus vers moi, m’en expliquent le sens pour un léger salaire, et j’avais d’ailleurs compris presque tout par conjecture.
[9] Ma curiosité satisfaite, et lorsque je songeais déjà à retourner à mon logis, le plaisir le plus flatteur qu’on puisse goûter à l’étranger vient s’offrir à moi. J’aperçois deux hommes avec lesquels j’étais lié d’une vieille amitié ; je crois qu’ils ne te sont pas inconnus, tu les as vus souvent ici et dans ma maison, C’était Chariclès de Corinthe, jeune homme dont la beauté naturelle est rehaussée par une parure recherchée, qui annonce son désir de plaire aux femmes. Il était accompagné de Callicratidas l’Athénien, homme simple dans son extérieur, qui s’est mis à la tête des orateurs politiques, et s’est fait un nom dans l’éloquence populaire, adonné d’ailleurs aux exercices du gymnase, moins, je crois, par goût de la palestre, que par amour pour les jeunes garçons. Il est tout feu sous ce rapport, et sa haine contre le sexe féminin s’emporte jusqu’à maudire Prométhée[2]. Du plus loin qu’ils me virent, l’un et l’autre accoururent à ma rencontre d’un air tout joyeux. Nous nous serrons la main, suivant l’usage, et chacun d’eux m’invite à venir chez lui ; mais moi, les voyant se disputer assez vivement à qui m’emmènerait : « Aujourd’hui, leur dis-je, Callicratidas et Chariclès, il vaut mieux que vous veniez chez moi, pour ne pas vous fâcher. Les jours suivants, car j’ai résolu d’en passer ici trois ou quatre, vous me traiterez chacun à votre tour : le sort nommera celui qui doit commencer. » Ce fut chose convenue.