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LES AMOURS.

pects, dont sont exclus les hommes. Mais qu’ai-je besoin de détailler la corruption de leu mœurs ? À peine de retour, elles entrent dans un bain interminable : on dresse une table sompueuse et délicate, où l’on voit éclater leur coquetterie avec les hommes. Quand elles ont satisfait leur gourmandise, et que leur gosier ne peut plus recevoir d’aliments, elles touchent aux mets du bout des doigts, afin de goûter à tous, devisant cependant entre elles de leurs nuits, de leurs songes aux mille couleurs, de leur lit où tout respire une voluptueuse mollesse, et dont on ne peut sortir sans avoir besoin d’un bain.

[43] « Telle est pourtant la vie des plus sages ; mais qui voudrait scruter avec exactitude et en détail la conduite de celles qui sont plus acariâtres, ne pourrait s’empêcher d’éclater en imprécations contre Prométhée et de s’écrier avec : Ménandre[1] :

        N’est-ce pas bien de montrer Prométhée
        Sur le rocher du Caucase enchaîné ?
        N’est-ce pas bien qu’une torche enfumée
        Soit le seul don qui lui soit assigné ?
        Les dieux, je crois, le haïssent dans l’âme
        Pour le méfait d’avoir créé la femme.
        La femme ! Est-il plus sotte invention ?
        On se marie ; hélas ! quelle union !
        Alors, Lachès, arrive la misère ;
        Autour du lit rôde maint adultère,
        Et les poisons, et le tourment jaloux,
        Qui mord au cœur et l’épouse et l’époux.

Qui voudra poursuivre de pareils biens ? À qui cette vie misérable pourra-t-elle plaire ?

[44] « Opposons maintenant à la perversité des femmes les mœurs innocentes d’un jeune garçon. Dès la pointe du jour, il quitte son lit qu’il ne partage avec personne : un bain d’eau pure lave le sommeil épanché sur ses yeux ; il revêt sa tunique ; il agrafe sa chlamyde sur son épaule. Bientôt il sort de la maison paternelle, le front baissé, sans regarder en face aucun de ceux qu’il rencontre. Ses esclaves et ses pédagogues l’accompagnent et lui font un honnête cortège : ils tiennent entre les mains les instruments de sa vertu : ce ne sont point les dentelures découpées d’un peigne destiné à caresser ses cheveux, ni des miroirs où son portrait se reflète sans le secours de la peinture ; mais de nombreuses tablettes marchent à sa suite,

  1. Voy. Ménandre, édition d’Aug. Meincke, p. 193 et 521.