Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/10

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peindre cette admirable image : le pinceau d’Apelle, de Zeuxis ou de Parrhasius, y serait impuissant, ainsi que le ciseau de Phidias ou d’Alcamène. Je déshonorerais donc mon modèle par la faiblesse de mon talent.

Polystrate. Mais seulement, Lycinus, quels sont ses traits ? Ce n’est point une entreprise téméraire que d’en tracer à ton ami une légère esquisse.

Lycinius. Le parti le plus sûr, selon moi, est d’appeler à mon aide les plus fameux artistes de l’antiquité, et de les charger du portrait de cette femme.

Polystrate. Que veux-tu dire, et comment feras-tu venir ici des gens morts depuis tant de siècles ?

Lycinus. C’est facile, pour peu que tu veuilles répondre à mes questions.

Polystrate. Tu peux m’interroger.

[4]4. Lycinus. As-tu jamais été à Cnide, Polystrate ?

Polystrate. Sans doute.

Lycinus. Et tu as bien examiné la Vénus de ce pays ?

Polystrate. Oui, par Jupiter ! C’est le chef-d’œuvre de Praxitèle.

Lycinus. Tu sais aussi l’histoire qu’on y raconte au sujet de cette statue, qu’un jeune homme en devint amoureux, se cacha dans le temple et satisfit, comme il put, sa passion[1] ? Mais nous te parlerons de cela une autre fois. Puisque tu as vu, dis-tu, cette Vénus, réponds-moi maintenant si tu as aussi vu celle d’Alcamène, qui est à Athènes, dans les Jardins[2].

Polystrate. Ah ! Lycinus, j’aurais été le plus insensible des hommes, si je n’avais été admirer un des plus beaux ouvrages de ce sculpteur.

Lycinus. Je ne te demanderai pas, Polystrate, si tu es monté souvent à l’Acropole pour voir la Sosandra de Calamis[3].

Polystrate. Oui, je l’ai souvent considérée.

Lycinus. Cela me suffit. Quel est celui des ouvrages de Phidias que tu estimes le plus ?

  1. Voy. les Amours, 15 et suivants. — Clément d’Alexandrie raconte la même profanation, et dit que Praxitèle avait fait cette statue sur le modèle de Cratina, ou de Phryné, sa maîtresse. Cf. Valère Maxime, VIII, iv, édition d’A. Thysius, Leyde, 1650.
  2. Cf. le viie Dialogue des courtisanes.
  3. Fameux statuaire, qui florissait un peu après Phidias. Il excellait surtout dans l’art de représenter les chevaux. On ne sait rien de positif sur la statue que Lucien appelle la Sosandra. Wieland croit que c’était une prêtresse de Minerve, et Belin de Ballu une certaine Lééna, maîtresse d’Aristogiton.