Aller au contenu

Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
269
ÉLOGE DE LA MOUCHE.

pas sa proie, mais elle revient à sa morsure. Il aime tant la mouche, il se plaît si fort à la louer, qu’il n’en parle pas seulement une fois ni en quelques mots, mais qu’il en rehausse souvent la beauté de ses vers. Tantôt il en représente un essaim qui vole autour d’un vase plein de lait[1] ; ailleurs, lorsqu’il nous peint Minerve détournant la flèche qui allait frapper Ménélas à un endroit mortel, comme une mère qui veille sur son enfant endormi[2], il a soin de faire entrer la mouche dans cette comparaison. Enfin, il décore les mouches de l’épithète la plus honorable, il les appelle serrées en bataillons[3], et donne le nom de nations à leurs essaims.

[6] La mouche est tellement forte, que tout ce qu’elle mord, elle le blesse. Sa morsure ne pénètre pas seulement la peau de l’homme, mais celle du cheval et du bœuf. Elle tourmente l’éléphant, en s’insinuant dans ses rides, et le blesse avec sa trompe autant que sa grosseur le lui permet. Dans ses amours et son hymen, elle jouit de la plus entière liberté : le mâle, comme le coq, ne descend pas aussitôt qu’il est monté ; mais il demeure longtemps à cheval sur sa femelle qui porte son époux sur son dos et vole avec lui, sans que rien trouble leur union aérienne. Quand on lui coupe la tête, le reste de son corps vit et respire longtemps encore.

[7] Mais le don le plus précieux que lui ait fait la nature, c’est celui dont je vais parler : et il me semble que Platon a observé ce fait dans son livre sur l’immortalité de l’âme. Lorsque la mouche est morte, si on jette sur elle un peu de cendre, elle ressuscite à l’instant, reçoit une nouvelle naissance et recommence une seconde vie[4]. Aussi tout le monde doit-il être convaincu que l’âme des mouches est immortelle, et que, si elle s’éloigne de son corps pour quelques instants, elle y revient bientôt après, le reconnaît, Je ranime et lui fait prendre sa volée. Enfin elle rend vraisemblable la fable d’Hermotimus de Clazomène, qui disait que souvent son âme le quittait, et voyageait seule, qu’ensuite elle revenait, rentrait dans son corps, et ressuscitait Hermotimus[5].

[8] La mouche, cependant, est paresseuse ; elle recueille le fruit du travail des autres, et trouve partout une table abondante. C’est pour elle qu’on trait les chèvres ; que l’abeille, aussi bien que pour les hommes, déploie son industrie ; que les cui-

  1. Iliade, II, v 469 et suivants.
  2. Iliade, IV, v. 130.
  3. Iliade, II, v. 469.
  4. Voy. Élien, Des animaux, II, xxix.
  5. Cf. Pline, Hist. nat. VII, lii.