chanter et jouer de là cithare, l'artiste commence par faire entendre je ne sais quels sons aigres et discords ; il rompt trois cordes à la fois par la violence avec laquelle il les attaque, puis, quand il se met à chanter, sa voix grêle et fausse excite parmi les auditeurs un rire universel. Les Agonothètes, indignés de son audace, le font fouetter et chasser du théâtre. Ce fut un spectacle vraiment récréatif, de voir tout pleurant Évangélus aux habits d'or, déchiré sous le fouet des Mastigophores, au milieu de la scène, les jambes ensanglantées par les lanières, et ramassant par terre les pierreries de sa cithare, qui étaient tombées pendant qu'on la fouettait en même temps que lui.
[10] Quelques instants après, arrive un certain Eumélus d'Élée : il tient en main une vieille lyre, montée avec des chevilles de bois ; son habit avec sa couronne vaut à peine dix drachmes : mais le talent avec lequel il chante, les sons qu'il tire de son instrument d'après les règles de l'art, lui donnent la victoire : on le proclame vainqueur, et l'on prétend que, pour se moquer d'Évangélus, qui avait fait pour rien un si pompeux étalage de sa cithare et de ses pierreries, il lui dit : "Évangélus, ton front est ceint d'une couronne de laurier d'or parce que tu es riche ; moi qui suis pauvre, je suis couronné du laurier delphien. Tout le fruit que tu retires de ce bel appareil, c'est que personne ne s'apitoie sur ta défaite ; mais on te hait encore davantage à cause de ton ignorance et de ton luxe inutile." L'exemple de cet Évangélus semble fait exprès pour ton pied, sauf que tu ne t'inquiètes guère si tu fais rire les spectateurs.
[11] Il ne sera pas non plus hors de propos de te raconter une autre histoire, arrivée jadis à Lesbos. Après que les femmes de Thrace eurent déchiré le malheureux Orphée, sa tête, dit-on, jetée dans l'Hèbre avec sa lyre, descendit dans le golfe Mélane ; elle flottait portée sur l'instrument, et, par un chant douloureux, déplorait le triste sort d'Orphée ; les cordes de la lyre, frappées par les vents, répondaient à ses plaintes : l'une et l'autre, avec ce triste concert, arrivèrent, à Lesbos. Les habitants recueillirent la tête et lui donnèrent la sépulture à l'endroit où est aujourd'hui le temple de Bacchus ; la lyre fut consacrée à Apollon et suspendue dans son temple, où elle s'est longtemps conservée.
[12] Dans la suite, Néanthe, fils du tyran Pittacus, ayant appris que cette lyre séduisait jadis les animaux sauvages, les arbres, les rochers même, et que, depuis la mort d'Orphée, elle rendait encore des sons harmonieux, désira vivement la posséder. Il